lundi 28 janvier 2008

Petit Renard, la limousine et le Mouton Masqué...


Il entre dans le restaurant avec l'allure d'un gentleman farmer en goguette. Un pantalon de velours vert bouteille que lui seul sait porter, son éternelle veste noire et côtelée, chemise, cravate, boutons de manchette... C'est mon Petit Renaud tel qu'en lui-même. Élégant, un rien excentrique, malicieux et gourmand.

Même s'il découvre les lieux, "Petit Renard", comme l'appellent ses amis, est en pays de connaissance. Sa réputation le précède, un mot de lui peut aider à remplir la salle. Chacun ici le sait et fait mine de l'ignorer. 

Embrassades, retrouvailles, présentations : le patron s'appelle Jean-Claude, "Pento" pour les habitués (c'est aussi le nom du restaurant, Café Pento, à Boulogne-Billancourt) :
"Pento, comme la crème capillaire?", rigole Jean-Luc.
Tout comme... Dans les années soixante, à l'époque où il jouait avec Dutronc, le restaurateur avait pris l'habitude de s'en lisser la moustache. 

Jean-Luc se marre de plus belle et lorgne sur la bouteille qui l'attend à table : une Bégou 2006, "vin de pays de la vallée du Paradis". L'appellation le fait ronronner de plaisir. Il a beau redescendre des Pyrennées où il pique-niquait hier encore, à 1800 mètres d'altitude, avec une vingtaine de producteurs sous l'oeil des caméras, il repiquera volontiers au Corbières.

Sans attendre, il se sert donc du vin de l'ami Maxime. Une lampée. Ses joues rosissent un peu. Il est visiblement soulagé de ne pas me faire de peine :
"Superbe! M'en veux pas mais j'avais peur que ce soit encore un de ces vins qui puent le bois. J'en peux plus de tout ce bois... Attends, dit-il en replongeant illico la bouteille dans le seau à glaçon. Pour moi, il a deux ou trois degrés de trop. Tu va voir...".
En bon sancerrois, Jean-Luc aime le blanc à six degrés et le rouge à 16. Il adore aussi l'huile d'olive dont il arrose son tartare de Saint Jacques à l'avocat et se sert bientôt une nouvelle rasade qui ne doit plus rien à la politesse d'une dégustation.
C'est beau ça... Fin et élégant. Moi j'appelle ça un vin du matin. Un luxe... C'est un vin qui rend un homme beau..."
Comme je lui raconte que Maxime Magnon fait ça à la main, à flanc de montagne et qu'il a mis des brebis dans ses vignes pour éviter les désherbants, il me rappelle que c'est l'origine de L'agneau de Pauillac, une spécialité de son copain Domingo Reyès (photo). Le petit des brebis que les bergers des Pyrennées venaient faire paître, l'hiver, dans les vignes du Médoc, au XVIIIème siècle.

Dix minutes plus tard, le Corbières s'efface devant un Coteaux du Languedoc rouge. En dévorant sa limousine à belles dents, Jean-Luc embraye sur son copain Colombo "qui élève les Côtes Rotie comme personne du coté de Cornas". Il s'extasie sur la tendresse de la viande, salue comme il se doit le jus de beurre qui la nappe généreusement et prend des nouvelles de mes amis.

Incollable, il se souvient avoir bu une Nine (JB Sénat), au dessus de la Cité de Carcassonne :
"Chez une femme formidablement énorme et généreuse (Nicole Galinier, la maison sur la colline, ndla). Cette femme, ton Senat, elle ne jure que par lui ! Elle nous a servi la Nine sur un agneau pré-salé. Après une spectaculaire salade d'artichauts languedocienne. C'était formidable !"
Chez lui, il est vrai, pas de demi-mesure. Tout est "formidable" ou à jeter... 

Avant d'attaquer un crumble d'une légèreté inouïe (pour un crumble...), nous sommes passés aux malheurs de Richaud et des autres avec les commissions d'agrément. Je dis "formatage", comme un néophyte qui récite sa leçon. Ça aussi le fait marrer, parce que les "bons", comme il dit, "trouvent toujours leur chemin, même chez les cons". Il se souvient que la même mésaventure est arrivé jadis à André Ostertag du coté d'Epfig :
"Son Sylvaner 90, une merveille, avait été refusé par la commission. Au goût c'était pratiquement une vendange tardive... C'est interdit si on veut rentrer dans l'appellation. Alors paf! Le voilà déclassé en vin de table. Lui s'est marré, il a appelé sa cuvée le "mouton masqué" et a fait passer une bouteille à un copain. Elle est arrivée sur la table du sommelier du Crillon qui a adoré. Il a averti les copains sommelier et hop : ça s'est arraché comme des petits pains. Un vin de table sur les plus belles tables de Paris, ça valait le jus...".
Une cuvée unique puisque c'est la vigne et pas Ostertag qui l'avait voulue. 

Le repas s'achève doucement. Jean-Luc me recommande encore un détour par le domaine de Fontjoncouse, où le Corbière rouge est parait-il "fameux". Une goutte de Bégou, rescapée du carnage, fait merveille sur la dernière cuillère de crumble. Un café, un caramel au beurre salé et mon Petit-Renaud est reparti en promettant un match retour... Il a du boulot par dessus la tête, bien sûr, et surtout un rendez-vous chez Drouand avec son ami et écrivain Yann Queffelec. Les deux se sont promis une tartine grillée au beurre de truffe arrosé d'une coupe de champagne. Pas mal non plus.

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