mardi 15 février 2011

La plume et le sécateur


Les vignerons écrivent peu. "On le ferait bien mais on trouve pas le temps... Tu comprends?", répondent-ils invariablement, avec l'air navré de ceux qui regrettent que les journées ne fassent que vingt-quatre heures. "Écrire, ah oui... J'y ai pensé..." se lamente cet autre. "J'en aurais des choses à dire...". Mais rien ne vient. La vérité, c'est que la plupart préfèrent de loin le travail des vignes et de la cave au cliquetis d'un ordinateur. Le sécateur à la plume.

Raison de plus pour ne pas bouder ceux qui, comme Catherine Bernard, se jettent à l'eau. Il faut dire qu'il y a six ans encore, la plume, c'était son métier:
"Un matin de février 2005, raconte l'ex-journaliste dans le livre qu'elle vient de publier, j'ai enfilé un treillis, des chaussures montantes, une casquette de chasseur ultra-moche avec des oreillettes en fourrure synthétique et je suis montée dans ma voiture (...) pour aller tailler ce qui allait être mes vignes: un hectare de mourvèdre et de grenache. J'apprendrais quelques mois plus tard que le grenache n'était pas du grenache mais du marselan, un cépage clandestin".
Le vendeur n'avait pas jugé bon de la prévenir, bien sûr. Trop heureux de refiler le mistigri à la "fille de la ville". Ce premier jour, Catherine taillera 106 malheureuses souches, "à peine une rangée", quand un professionnel en abat 500 à 800.

Quelques pages plus tard, une autre scène qui en dit long sur la fraîcheur de l'accueil: juste avant la signature définitive de la vente, alors qu'elle a déjà commencé à tailler, elle croise son voisin de parcelle à la Copal, "le Gamm vert des vignerons":
"Vous taillez où? A Saint Drezery? Ah! C'est vous?". Et le type d'ajouter aussitôt sans lui laisser le temps de répondre: "Perdez pas votre temps, les vignes vous les aurez pas."
Et pourtant, six millésimes plus tard, Catherine est toujours là, sur la terre de La Carbonelle, appliquée à tailler ses 4876 souches. Même si "vigneronne ça sonne mal, ça fait pochtronne", comme lui fait remarquer élégamment son directeur de formation. Ou si "le bio de toute manière c'est de la connerie". Le résultat de ces six années d'apprentissage tient dans la main: c'est un rectangle vert et long de 232 pages, à la fois lucide et sans fausse pudeur.

Pas amère pour deux sous, la vigneronne y passe en revue les coups durs et les coups bas. Les petits bonheurs, les doutes et les joies aussi. L'oïdium et le mildiou. "Le cyclope de Philippe", ce chenillard qui ne tasse pas la terre. L'incertitude du ciel et de la cave. La complicité des copains et la solitude du vigneron. Bref: la découverte d'un métier dont elle sait déjà que "sa vie ne suffira pas" à en découvrir tous les secrets, parce "qu'une vie de vigneron se résume à trop peu de vins". Elle conclut ainsi:
"Le soir, mon corps pèse des tonnes, je suis un cube, une masse dense et brute, comme les femmes des tableaux de Picasso (...) Le travail rend vaines les gesticulations de la volonté. Elle anéantit l'agitation des petits moi".
Et on croit comprendre qu'elle a trouvé dans sa nouvelle vie une définition toute personnelle du bonheur.


"Dans les vignes" de Catherine Bernard est publié aux Editions du Rouergue (20 euros).

On lira aussi avec profit: "les bonnes feuilles" du livre sur le blog de Catherine... Et si le coeur vous en dit: In Vino Libertas, le portrait que le VdmA lui avait consacré en 2008.

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