lundi 20 octobre 2008

Les japonais et la Mémé


C'est toujours un drôle de spectacle que de voir débarquer dans les vignes un groupe de japonais. Ils sont d'abord aussi silencieux que charmants. On les croirait sur la pointe des pieds. Et puis, ce qui ne gâche rien, il sont connaisseurs. Ce jour-là, à Gramenon, c'est un restaurateur de Nagasaki qui invite ses fournisseurs de saké. Le groupe s'apprête à boucler un tour de France des vins. Quatre jours montre en main, le Louvre et la Tour Eiffel compris.
"Ils ont réservé il y a quatre mois, raconte Michèle Aubéry. Ils viennent ici comme si on leur faisait une grâce. J'aime beaucoup ces gens. J'aime leur culture. Ils sont curieux, discrets, presque émerveillés d'être là."
Dans la foulée de Michèle, qui avance jupe au vent, le groupe s'est mis en route. Les japonais ont peu de temps. Chaque mot est aussitôt traduit, chaque information saluée par des hochements de tête graves et concentrés. Âge des vignes, cépage, bio-dynamie, le guide veut tout savoir... Et tout transmettre. 
- Et là, dit-il dans un français impeccable, de quelle vigne s'agit-il? 
- Ce sont les vignes de la Mémé, répond la vigneronne.
Stupeur du guide, qui traduit aussitôt avec une excitation visible. Lui qui parlait d'une voix douce a presque crié le nom de la cuvée vedette de Gramenon. Aussitôt, un incroyable frisson parcourt l'assemblée. 
"Mémésan... Mémé... Lâ Mémé..."
Et tout à coup, le groupe paisible se métamorphose. Ce ne sont plus de sages japonais en goguette mais une bande de fans en folie. On court, on se bouscule. Sur les chemins caillouteux de la Drome, une femme trop pressée en casse son talon. Dans un même geste, chacun a dégainé son appareil photo. Et mitraille à tout-va.

Il faut dire qu'au Japon, pour les amateurs, la Mémé est une institution. C'est que les japonais ont découvert très tôt ces vins natures. Ils ont la réputation de ne pas supporter le SO2, ce soufre qui leur collerait d'insupportables migraines et dont les adeptes des vins naturels ont précisément appris à limiter les doses, voir à se passer. Depuis, au Japon, le succès de ces "vins vivants" ne s'est jamais démenti.

Tout de même Michèle Aubery ne s'attendait pas à ça! Elle regarde la scène, bras croisé, partagée entre l'amusement et l'incrédulité.
"Ils sont tout de même étonnants, non? glisse-t-elle.
Le mot est faible. C'est tout simplement surréaliste. Les hommes sont à genoux dans les vignes, l'objectif collé aux grappes de grenaches. Cherchant le meilleur angle, la meilleure photo. Tandis que, depuis le bord du chemin, les femmes, elles, photographient leurs maris... Photographiant les vignes. Ce ne sont plus des plantes que l'on immortalise, c'est la Joconde... Le plafond de la Chapelle Sixtine... "La" Mémé.

Et puis la frénésie retombe, doucement. Et les japonais échangent des regards silencieux. Le guide se tourne alors vers la vigneronne.
"Excusez-moi, mais ils aimeraient vous prendre en photo avec eux, c'est possible?"
Michèle s'avance entre les ceps, persuadée qu'une dernière photo de groupe terminera cette incroyable séance de dévotion. Mais non. C'est chaque japonais qui veut maintenant se faire immortaliser à ses cotés. Seul puis en couple, puis en groupe. Au Japon, la vigneronne, est elle aussi une star...  

Du coup, le reste de la visite s'effectue au pas de charge. La cave taillée dans le rocher, les fûts, les cuves, le dynamiseur. Et enfin la dégustation, presque trop polie après l'émotion des vignes. Pour l'occasion Michèle a sorti une Mémé 97, un monument. Une merveille. Les japonais lui offriront en échange un tablier de saké et une bouteille de leur meilleur alcool de riz. 

Remerciements, sourires, salutations. Re-sourires... Tout ce petit monde s'enfourne ensuite dans les minibus. Et disparaît, comme il est venu.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très intéressant d'un point de vue anthropologique ! Le Japon, avec sa culture bouddhiste (son rapport si particulier au vivant) possède une forte propension culturelle à apprécier ces vins qui sont parfois qualifiés de vins à défauts chez nous ! Ils en ont une compréhension spirituelle et gustative qui colle très bien à la philosophie des vignerons qui les produisent il me semble. Comme quoi, tout relatif (surtout culturellement) !

Cet article fait aussi écho au précédent ! "Nous" (enfin, pas moi en tous cas ;-)) , à force de les décrier, on n'en verra plus la couleur, alors que nos amis japonnais eux ne s'y trompent pas ! Gramenon, l'Anglore... Ils savent que c'est très bon et pas cher et tant pis pour nous !

Courrons acheter une ou deux caisse ! ;-)