jeudi 28 août 2008

Michèle Aubery en liberté


Elle fixe ses rendez-vous du bout des lèvres et ne fréquente guère les dégustations branchées. Longtemps Michèle Aubery est restée à l'abri des soirées vigneronnes. En vérité, l'âme de Gramenon sort peu. Mais ne boude pas son plaisir lorsqu'elle le fait. Douce mais insaisissable, elle peut rester des heures, assise sur le perron de la maison de Montbrison à contempler ses grenaches. Ici, les champs de lavande tutoient les vignes et le vent souffle fort. Il a laissé sur son visage des marques profondes, qu'elle éclaire volontiers d'un sourire.
"Je suis un peu sauvage, explique-t-elle dans un souffle. Il faut sans doute l'être pour se préserver: garder des choses pour soi. C'est pour cela que je dessine beaucoup. Que je lis aussi. Je peux y passer des heures. En fait, ça ne me plaît pas trop de me faire déborder par le commercial. Les vignes me manquent vite".
Elle a dit ça sans agressivité, d'une voix paisible. Entre deux de ses fameux silences.
"Les japonais sont en retard, dit-elle soudain. Bon... On y va?"
Et la voilà partie, le long de la route bordée de ces oliviers qu'elle vient de planter et dont elle fera "peut-être de l'huile, si tout va bien". Sa robe longue flotte sur ses sandales. Elle marche d'un pas léger,
attentive au frémissement du vent entre les feuilles de grenache. Puis la vigneronne remonte le petit chemin de cailloux qui longe les ceps centenaire de la "Mémé", pour arriver sur le plateau: dix hectares de vignes s'étendent là, d'une pièce. Essentiellement des grenaches, d'un vert croquant. Michèle sourit:
"C'est mon mari (disparu brutalement en 99, ndla) qui a trouvé cet endroit il y a 30 ans. 30 ans... Une vie... Lui, c'était un créateur. Un vigneron curieux et inventif. Quelqu'un de vraiment très doué. C'est lui qui a décidé de mettre en bouteille au Domaine en 90. Moi, à l'époque, j'étais infirmière, d'abord à domicile puis auprès d'enfants handicapés. Très loin de tout ça... Et puis un jour j'ai eu comme une révélation: j'ai vu la vigne se dresser devant moi. Littéralement. Et j'ai compris que c'était du Vivant, qu'il fallait lui donner la force de s'épanouir. Pas la bourrer de médicaments, d'engrais, de pesticides, non... Mais lui donner la force de se battre. Comme infirmière, j'aimais les médecines naturelles. Comme vigneron, je me suis trouvée dans la bio-dynamie."
Neuf ans déjà que Michèle soigne seule ses trente hectares de vignes de la Drôme. A sa manière: tendre et minimaliste. Malgré un passage difficile, le succès de la Poignée de Raisins (les jeunes vignes), des Laurentides (ex-Hauts de Gramenon) ou de la Sagesse, ne s'est jamais démenti. Avec une franchise déconcertante, elle reconnaît pourtant que ses cuvées sont parfois inégales, d'une année sur l'autre. Malgré les faibles rendements, l'effet millésime joue ici à plein. On lui fait remarquer que l'aveu est plutôt inattendu:
"Je dis la vérité ou je me tais", répond-t-elle dans un sourire.
Dont acte. La parole ici est donc aussi libre qu'elle est rare. Aussi libre que les vins. Des "vins de raisin", comme le proclame tout simplement la pancarte plantée sur la route qui mène au Domaine. Ici plus que nulle part ailleurs on soigne le fruit. Plus tard dans la journée, une dégustation prouvera à quelques sceptiques que dans l'humidité des caves, creusées à la pelleteuse dans le rocher, dorment des trésors. 

Mais la visite se termine. 

En bas, sur la route, un coup de klaxon a retenti. Maxime Laurent, le fils prodigue, signale à sa mère que "les japonais viennent, enfin, d'arriver". Comme à regret, Michèle quitte son refuge vert, sa mer de vigne, pour reprendre le chemin de la maison.
"Ils ont pris rendez-vous il y a quatre mois, s'excuse-t-elle, toujours émerveillée de voir des amateurs venir la visiter de l'autre bout du monde. Je ne pouvais pas refuser."
Avec ces visiteurs là, une nouvelle aventure commence. Mais c'est une autre histoire...

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