dimanche 27 avril 2008

Les risques du métier


Rude métier que celui de vigneron, on l'a déjà dit ici. C'est que, contrairement à ce qu'on pourrait penser, "il ne suffit pas de regarder pousser la vigne". A l'heure où le bourgeon frémit et où la sève reprend sa vertigineuse ascension, il y a du pain sur la planche: traiter, sulfater avec retenue des vignes encore fragiles et bien sûr les "engraisser" à grands renforts de compost. 

Et le compost, comme Maxime Magnon vient de l'apprendre à ses dépends, c'est traître. Une remorque déséquilibrée, trois cent kilos de sacs qui basculent: et voilà notre vigneron coincé, à tous les sens du terme. Sous la charge d'abord, dont il parviendra à se tirer en rampant. Puis coincé tout court après le verdict de la radio: ligament arraché et attelle de la cheville en haut de la cuisse.
"Résultat c'est Johan (son apprenti, ndla) qui se cogne les traitements, peste l'homme des Corbières qui, même à cloche-pied, n'a pu s'empêcher de venir superviser l'opération. Je suis frustré, c'est terrible. Me voilà contraint à la patience. Pas ma spécialité... Enfin pour lui, au moins, c'est instructif". 
La douleur, chaque vigneron l'a expérimenté un jour. Ouvriers avant tout, ils peuvent se sectionner un muscle d'un coup de sécateur électrique, se faire tomber sur la tête une palette de bouteilles (comme cela vient d'arriver à un célèbre vigneron de Chateauneuf) ou tout simplement dévaler une échelle. En chai, la chute comme la glissade sont, disent les études, les premières causes d'accident. Sur 30.000 accidents agricoles déclarés par an, 2400 concerneraient des viticulteurs indépendants (8%). 

A force de penser "nectar" et "dive bouteille", de vanter avec des trémolos (justifiés) ces "auteurs de vins", on en oublierait presque qu'il s'agit avant tout d'un métier manuel. Et extrêmement physique. Mais au pays des vendeurs de rêve,
on préfère les beaux clichés "soleil couchant" à ces accidents triviaux qui rythment la vie des vignerons.
"Pas question de casser l'image, m'expliquait récemment un de mes amis. On ne vend pas de l'agriculture. On vend de l'imaginaire en bouteille."
Tout de même. Parfois la corde casse... Il n'y a pas si longtemps cet hiver, à force de courir de ses vignes à son chai, des sillons au "bâton" et de clients en dégustations, Frédéric Palacios s'est offert un demi-tonneau, sans une goutte d'alcool ou un excès de vitesse. A force de faire les trois/huits, il s'était endormi au volant en rentrant d'une taille. Résultat: la camionnette à la casse (photo de gauche) et un solide mal de dos en héritage. Depuis aller à la vigne "lui est pénible", dit-il. Comme l'aveu sans doute qu'il ose faire ce soir là. Mais pas question d'arrêt de travail.
"Qui alors s'occuperait de tout ça?"
Et la seconde suivante, comme si de rien n'était, il disserte déjà sur l'arrivée des bourgeons et l'envie qui le tenaille de les "tomber", pour privilégier le meilleur du fruit à venir.

Bien sûr, Frédéric comme Maxime s'en remettront. Palacios est "dur au mal", Johan est un bon apprenti et Magnon un bon coach. Dans un mois en Vallée de Paradis comme en Malepère, on veut croire que ce "mauvais moment sera oublié". Le vin, bien sûr, ne tient pas qu'à la seule forme physique de son vigneron. Mais tout de même... Elles sont bien fragiles ces PME qui ne tiennent qu'au fil d'un tendon, d'un ligament ou à l'attache d'un muscle. Comme on bascule vite! Accident professionnel, diront les uns. Certes. Les risques du métier. Ces artistes ne sont, en la matière, que des hommes.

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