jeudi 1 mai 2008

La valse des étiquettes


C'est la nouvelle passion des vignerons. Le raisin dompté, le vin tiré, la mise faite, tous n'ont plus d'yeux que pour leurs étiquettes. Et ils rivalisent d'inventivité pour attirer le chaland. C'est qu'il y a de la concurrence, sur les étagères...

Chez les Senat, on vient ainsi de passer les deux derniers mois à discuter passionnément "concept" avec le graphiste attitré de la maison.
"Les rayures brunes et beiges, m'explique ainsi Jean-Baptiste en me tendant une bouteille des Arpettes, ce sont les rangées de vignes et les lettres qui forment le nom ce sont les vendangeurs. On voulait laisse l'idée d'un vin de plaisir, d'un vin de soif. Presque ludique... Idéal pour une entrée de gamme."
Mi-Arpettes, mi-arpèges, donc pour cette étiquette presque chantante... C'est que les Senat font partie de cette nouvelle race de vignerons qui sait que le flacon, s'il ne vaut pas l'ivresse, compte beaucoup dans le premier contact que ses clients auront avec le vin. Ornicar, en la matière, leur a montré le chemin à suivre. Un nom qui chatouille l'oreille, un graphisme qui attire l'oeil.

Même casse-tête et même soucis du détail chez les Palacios. Dés leur premier millésime en 2005, ils ont créé un nouveau style. Pas de recto et de verso, d'étiquette et de contre-étiquette, mais deux carrés juxtaposés: le nom de la cuvée sur l'un, les mentions légales sur l'autre. La couleur, bien sûr, change selon la gamme. Une idée de Michèle qui, comme Charlotte Senat, garde un oeil à tout ce qui relève de la déco et du packaging.
"Lorsque Frédéric a fait ses premières vendanges, on s'est tout de suite dit qu'on voulait des bouteilles qui sortent un peu des sentiers battus, explique Michèle Palacios. Une étiquette qui parle de nous. On voulait sortir de la masse de ces rectangles épurés qui fleurissent en Languedoc. Nous avions demandé à l'imprimeur quelque chose de classe et de moderne. Qui accroche le regard, sans être prétentieux...".
Chez les Palacios, l'étiquette se doit d'être aussi précise que les vins. Et gare aux codes couleurs! Il y a un mois, le rouleau du "Quitte ou Double" est ainsi reparti à l'imprimeur avec quelques noms d'oiseaux: le brun foncé était devenu "rosé clair". La patronne a retoqué.

La bouteille, on l'a compris, c'est donc le premier media du vin. Et sa seule arme face à la concurrence. Contrairement à un parfum qui, même médiocre, peut s'imposer à grands coups d'affiches, de pubs télés, bref de pression médiatique, le vin, lui ne peut compter que sur sa seule bouteille. Sans aller jusqu'aux habillages de tulle utilisés par Francis Ford Coppola pour vendre son "blanc de blanc" californien (baptisé du nom de sa fille, Sofia, à gauche), un vigneron ne doit donc rien laisser au hasard.
"L'étiquette, c'est souvent la seule stratégie de communication d'un vin, résume le graphiste Gianfranco Pontillo, qui partage son talent entre jazzmen et vignerons. C'est le seul media structuré sur lequel un viticulteur peut s'appuyer. L'étiquette c'est un premier lien, un lien immédiat, visuel, avec l'amateur. Et c'est vrai qu'on est sorti de ce que j'appelle "la tranche napolitaine": avant c'était le dessin, le blason ou le domaine, l'appellation en plus ou moins gros et puis le millésime. Une série de pavés gris. Sans parti-pris, sans choix... A deux mètres tout se ressemblait! Aujourd'hui les codes ont évolués et l'identitaire a pris le dessus. Le vin moderne, vu à travers l'étiquette, c'est le triomphe de l'individu... De l'humour et souvent du parti-pris".
Mais pas question de pret-à porter. On ne choisit plus son étiquette dans un catalogue. Ni même sur les sites de collectionneurs, aussi impressionnants soient-ils. Tout doit être taillé sur-mesure. Original, ciselé... Le plus souvent par des professionnels. C'est ainsi qu'une société comme Monroe, s'est imposée comme la référence pour un certain nombre de "faiseurs de vins" comme l'ami Richaud ou le champenois Anselme Selosse... Etiquettes au cordeau, jeu de couleur et de brillance, site de présentation tirés à quatre épingles. La "com" et le marketing qui déferlent au pays des vins natures.
"C'est le gros avantage de terroirs comme le Languedoc, explique Jean-Baptiste Senat. Des terroirs jadis mineurs ou carrément méprisés... Peu de passé marketing, pas de pesanteur, on est vraiment très libre d'inventer. On n'est pas ici dans les figures imposées comme le "Chateau" bordelais, le "délié" bourguignon ou le "parchemin" obligatoire des étiquettes de Chateauneuf-du-Pape."
Démonstration un peu plus à l'ouest, au coeur du Gers de Dominique Andiran. On est ici en "vin de Pays des Côtes de Gascogne", coincé entre les traditionnelles bouteilles d'Armagnac et les étiquettes très classiques du géant Tariquet. Il fallait bien s'inventer des chemin de traverses. Voire... Des souterrains!

C'est ainsi dans une grotte cachée sous l'abbaye de Montréal-du-Gers que le gascon a déniché l'étiquette de son moelleux: le Ruminant des vignes. Un animal dessiné par de lointains ancêtres et redécouvert récemment par un paléontologue passionné d'oenologie. L'universitaire a donné le copyright du dessin en échange de quelques caisses de vin...

Même deal, mais avec une autre inspiration, pour le Magnus, le rouge festif et viril de la maison. Là, c'est un artiste local qui a concédé au vigneron la reproduction de l'un de ses tableaux: une série de monts... Suggestifs. Sur l'étiquette, c'est connu, le vin et les femmes, font souvent bon ménage.

Comme sur cette bouteille de Chinon: drôle de Diablesse qui vient, séductrice, couvrir de rouge à lèvres le joyau du Chateau Coulaine. Le dessin est l'oeuvre de la suédoise Madlen Herrström, passée maitresse dans l'art vigneron.

Et ça marche: en février dernier, la Revue des Vins de France a mis le flacon à la Une pour illustrer un dossier sur les vins de Loire... Alors qu'en page intérieure, le vin n'obtenait qu'un "accessit". Sans doute l'étiquette avait-elle été jugée "plus vendeuse" par la rédaction en chef...

Pour sortir du rang et des rayons, les uns joueront ainsi de l'oeil ou de la cuisse. Du filigrane ou de l'impression à froid, en relief, façon "carte de visite bourgeoise des années cinquante". D'autres tenteront des envolées plus ou moins lyriques. Un papillon grisé sur l'épaule des "Promises" (Côtes du Luberon). Un phoenix à l'envol sur la bouteille de Rouge Garance. Oui, mais un oiseau signé Bilal. Le dessinateur, amateur de vin, n'en est d'ailleurs pas à ses premières esquisses. En 83, il avait déjà imaginé pour une cuvée suisse une étiquette très suggestive (à gauche).

Sortir du lot, voilà donc le secret. Même si c'est à l'économie et en faisant montre de la plus grande sobriété.
Faute de budget, Maxime Magnon a ainsi inventé tout seul le point de couleur qui vient ponctuer son nom sur ses étiquettes couleur Bristol. Vert clair pour les blanc, Rouge pour les rouges. La typo, il l'a trouvée sur son ordinateur. CQFD.
Au Royaume de la débrouille informatique, on trouvera aussi Hervé Bizeul qui depuis son "son garage du Roussillon", affirme être passé maître dans l'Art du graphisme assisté par ordinateur. Sur son blog, il raconte ainsi comment il a créé le "look" de sa
très chère Petite Sibérie (160 euros). La patte du maître, jusqu'au bout... Et la preuve que le métier de vigneron est décidément très complet!
Mais dans ce grand bal des étiquettes, attention aux sorties de pistes, prévient notre Gianfranco Pontillo:
"On ne fait pas la même étiquette pour un type qui fait du vin depuis quatre générations ou pour un cadre de banque qui vient de réaliser le rêve de sa vie en achetant quelques hectares de terres dans le Languedoc! On ne fait pas non plus une étiquette extravertie pour un artisan très intérieur, presque timide. On peut, bien sûr, créer un petit frère turbulent, mais il faut un air de famille... Il faut être honnête. Avec le vin, on ne peut pas tricher."
Ludiques, colorés, branchés, artistiques, décalés ou épurés, tous les looks sont donc permis... A condition d'en assumer l'éventuelle audace. Et pour ceux qui préfèrent se contenter d'étiquettes plus sages, un dernier gadget venu droit des USA:
l'étiquette aide-mémoire! Son coupon détachable permet de glisser en bonne place dans votre portefeuille le nom et l'adresse du vigneron qui vous a offert un joli voyage. Comme une invitation à y revenir...
En publicité, on appelle ça la "différence marginale". Et ça vaut pour toute les étiquettes. Par définition, elles ne rendent pas le produit meilleur. Elles permettent juste au consommateur de faire son choix, de trouver son chemin. L'essentiel, c'est bien connu, se joue entre vignes et chai.

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