dimanche 20 avril 2008

Les caves se rebiffent


C'est la dernière des retoqués: créer un label regroupant les cuvées interdites d'appellation par les commissions d'agrément. Chez Marcel Richaud, après de récentes mésaventures, l'idée fait son chemin:
"Nous sommes quelques vignerons, dit-il, à connaître les même soucis. Nous pourrions créer une marque ou un logo que nous imprimerions sur nos étiquettes de vin refusés. Les copains et moi, on y réfléchit...".
Du coté de Gaillac, les Plageoles avait déjà testé l'affaire en frappant d'un petit sigle très reconnaissable (un sens interdit barrant un mustélidé), les vins refusés par l'appellation. "Interdit aux blaireaux", précisait-il alors à ceux qui demandaient ce qu'ils voulait dire par là.

Si club il y a, en tout cas, il y a fort à parier qu'Elodie Balme en fera partie. Cette ancienne du domaine Richaud, établie à son compte du coté de Rasteau raconte qu'elle a connu les mêmes déboires avec son 2007. Idem pour Angeli et son "rosé d'un jour". En Languedoc, les Arpettes de Senat sont finalement passées. Mais in extremis et au deuxième appel. Et d'autres, réclamant aussitôt l'anonymat, racontent désormais qu'il trichent avec les commissions... Echangeant les cuvées pour faire passer la pilule. "A la guerre comme à la guerre", plaide-t-on chez ces indépendants.

Cela ne rapporte d'ailleurs pas toujours... Un vigneron phare du Beaujolais raconte ainsi, hilare, ses demélés avec les AOC:
"Lors de la première tentative et en appel on a bien présenté la nouvelle cuvée, explique-t-il. Refusées... On a alors pensé que c'est à nous qu'ils en voulaient. Alors, à la troisième tentative, on a remplacé la cuvée maison par un vin de négociant, déjà accepté en AOC. Paf! Retoqué, lui aussi! Pour une fois on était assez d'accord avec la décision... Mais tout de même, ça fait désordre!"
A force d'incertitude, les vignerons ont ainsi appris à jouer avec les lignes. Chez les Lapierre, croisés fin mars lors d'une dégustation aux Caves Augé, on revendique l'appellation Morgon. Mais on joue volontiers sur les deux tableaux:
"Quand on a sorti notre Cuvée Spéciale, explique Mathieu Lapierre (ci-dessus), on a eu des soucis avec la commission AOC. Après avoir épuisé les recours, on l'a donc appellé "Marcel Lapierre" en indiquant le millésime (interdit aux vins de table, ndla) avec un double M romain et "III"... pour 2003. Dans la foulée, on a déposé la marque MMIII. En 2005, il se trouve que la Cuvée Spéciale a été acceptée par la commission d'agréement. On a donc repris l'appellation, bien sûr, que l'on indique sur la contre-étiquette. Mais en petit... Sur l'étiquette principale, c'est toujours la cuvée "Marcel Lapierre", mais MMV cette fois... Et bien entendu, on a de nouveau déposé la marque! Comme ça on est couverts pour l'an prochain..."
Il n'y a pas un réglement qui ne se contourne. Ainsi, l'interdiction faire aux vins de table d'afficher leur millésime, stimule-t-elle l'imagination de nos amis.

Pour indiquer l'année de vendange, le Carignan (K) de l'Oustal Blanc s'accompagne d'un chiffre qui change avec les années. 5 pour 2005, 6 pour 2006, etc... En 2000, lorsque sa Valinière a été retoqué, Didier Barral a remplacé les chiffres interdits par une canette suivie de trois oeufs. Chez Zind-Humbrecht, il faut avoir de bons yeux pour voir que le 2004 du Zind (chardonnay interdit en Alsace) est en fait un "Z-deux-tonneaux-4". Pas de soucis... Tout le monde, alors, ferme les yeux.

Même formidable hypocrisie sur les origines régionales des vins de table. Un seul exemple: chez Arena, la tête de Maure qui orne les bouteilles du fabuleux Bianco Gentile 2007, rappelle qu'il ne s'agit pas seulement d'un "vin de table de France", mais d'un fier vin corse, condamné à la "clandestinité" par la sourcilleuse commission d'agréement.

Mais la révolte gronde et déjà certains poussent le bouchon plus loin. Dans sa dernière édition, la revue Rouge&Blanc vante ainsi les qualités d'un chenin (de table) signé Benoit Courrault, en précisant qu'il travaille...
"...En Anjou, mais à quoi bon le revendiquer?"(sous-entendu sur ses bouteilles, ndla).
D'autres, plus radicaux encore, n'hésitent pas à basculer dans le "séparatisme vinicole". Et si d'une étiquette par défaut, ce vin de pirate qu'est parfois devenu le Vin de Table, devenait un label? Sur le blog, la semaine dernière, "Pinardier" suggérait carrément une insurrection des "exclus".
"Le meilleur pied de nez, écrit-il, serait de se détacher des AOC. La dénomination Vin de Table deviendrait alors le reflet de créations artistiques qui se vendrait aussi bien qu'avant".
Il est vrai que chez les cavistes, il n'est plus rare de trouver des vins de table à des prix... Disons, surprenants. 15, 20, 40 euros. A condition, bien sûr, qu'ils soient "signés". Et bons.
"Vin de table, AOC, ça n'est plus vraiment la question pour un amateur, explique Jean-Michel Jonchères, le patron de la cave Balthazar à Paris. Quand on voit des pubs pour des Bordeaux AOC à 1,99 euros chez Carrefour, on comprend que le système, aussi précieux soit-il, est dévoyé. Aujourd'hui, c'est l'homme qui prend le dessus sur le terroir, c'est un fait. Il y a 30 ans, Aimé Guibert (photo à droite) est devenu au mas de Daumas-Gassac le vin de pays le plus cher du monde. Demain, un vin de table à 100 euros, c'est parfaitement envisageable. Tout dépend de la signature...".
Quand aux belles cartes des vins parisiennes comme celles du Paul Bert, du Baratin ou du Villaret, elles n'hésitent plus à proposer une rubrique "Vins de table", bien en vue, à coté des Appellations certifiées. Reste à convaincre le client, pour qui une AOC reste encore gage de qualité. Et que ces étiquettes laissent souvent sceptiques.

Aucun commentaire: