vendredi 8 juin 2012

LES INCONTOURNABLES DU VDMA


Aux premières chaleurs, l'esprit ramène vers le Sud. On descendra alors avec bonheur la vallée du Rhone jusqu'à Tavel et ses vins réputés faciles. C'est là, au coeur d'un cirque de terre chaude et de pierres blanches, qu'Eric Pfifferling cultive son amour inconditionnel des vins natures.


HEUREUX QUI COMME ERIC...

On m'avait promis un vigneron rugueux. Un géant intransigeant et taiseux. A peine si je n'allais pas rencontrer le Cerbère du vin nature, le gourou d'une mystérieuse secte bio-bio. Rien de tout ça. Pour peu qu'on aille le chercher chez lui, à Tavel, en laissant ses certitudes à la porte, Eric vous paraîtra même tout l'inverse: puissant certes, économe de ses mots sans doute... Et pourtant heureux de les partager. Tout miel en fait. Rien d'illogique pour un ancien apiculteur. 
"Les abeilles, c'est une école de calme et de concentration, raconte-t-il. Lorsqu'on travaille avec les abeilles on travaille du vivant. Avec elles, tout joue: le climat, l'humeur, le ressenti... Chaque jour est différent. Les abeilles ça ne se "maîtrise" pas. Ça s'accompagne... C'est un apprentissage d'humilité. C'est comme la vigne, d'une certaine manière: on peut "prendre part" mais on ne "dirige" pas. Et puis le travail avec les abeilles, c'est une école pour le vin aussi: sur les arômes... Les intensités... Ca fait 30 ans que le miel et le parfum des fleurs ne me quittent plus."
Pas de hasard donc, si l'on retrouve ces parfums et ces arômes dans les vins d'Eric Pfifferling. Au coeur d'une appellation réputée pour ses rosés faciles et ses rouges trapus, il élève ses grenaches en douceur, avec finesse et même, pour certaines de ces cuvées, un flirt assumé du coté des Pinots et de la Bourgogne. Terres d'Ombre, Pierre Chaude, le Chemin de la Brune, les Traverses... Ses cuvées sont le "Miel de Tavel", a écrit Sylvie Augereau, dans un de ces raccourcis saisissants dont elle a le secret. "Comme des Beaujolais du Sud" renchérit un critique avisé. Pour une fois, Eric accepte le compliment.
"La première fois que j'ai bu les Morgon de Marcel Lapierre, raconte-t-il, j'ai été bouleversé. Lui et Jean (Foillard, ndla), sont des génies. J'aime pas beaucoup l'idée du disciple et du Maître, mon truc à moi c'est plutôt ni Dieu ni Maître..." 
Il sourit puis ajoute, gourmand: "Mais oui... Cette filiation, là, elle me fait plaisir."

Cela fait 20 ans maintenant qu'Eric a repris les 4 hectares de vignes que possédait sa grand-mère au coeur du cirque de Tavel. Il y a ajouté 3 hectares, pas un de plus. Pour le raisin d'abord, puis pour la coopérative. Cette année, il signera, le dizième millésime du Domaine de l'Anglore ("Lézard", en occitan). 
"On a commencé en 98 avec Jean-François Nicq, des Foulards Rouges (Roussillon, ndla). On a passé des soirées, des nuits, à discuter de politique et de nos vins, de la façon de les faire. A tenter de faire émerger une nouvelle génération de vignerons, là où il n'y avait que deux ou trois moutons à cinq pattes. On était avec des gars comme Loïck Roure, Edouard Laffite, Gérald Oustric (Domaine du Possible et Domaine du bout du monde en Roussillon et Domaine du Mazel en Ardèche, ndla)... Ensemble, on a appris à faire du vin autrement."
Ne lui parlez pas de réglementation. Eric s'en fiche pas mal qui boude les commissions d'agrément et sort la plupart de ses cuvées en Vin de Table. Rebelle, passionné, utopiste? Tout ça mélangé. Il assume.
"Gosse j'ai été renvoyé trois fois de l'école. A 20 ans, j'ai eu une période, disons, un peu radicale... Et c'est vrai qu'on a un coté "gang de la gauche prolétarienne", comme tu dis. Mais ma vérité, c'est plutôt que j'ai jamais bien supporté l'autorité".
Insoumis, c'est le mot. A part, bien sûr à ses vignes. Là, le militant de la cause redevient un guide patient, concentré, paisible. A l'heure d'ébourgeonner ("la belle oeuvre", comme disait le père de sa femme, Marie), ou de partir piocher les trois hectares qui lui restent à travailler avant la fin juin, le vigneron se souvient des leçons de l'apiculteur.
"Tu ne peux pas forcer la nature. Il n'y a pas un millésime qui ressemble à un autre. D'une année sur l'autre, je peux tout perdre, je le sais. Ça a failli m'arriver en 2002, l'année ou nous avons perdu les abeilles et les trois-quarts de la récolte dans les inondations. Ça aussi, c'est une leçon d'humilité."
Un silence et puis il ajoute:
"Pour moi la révolution, tu vois, ça n'est plus tout raser. Mais plutôt trouver l'équilibre... Transmettre. A 50 ans, je peux dire que je suis heureux, ouais... Je changerais pas ma vie. Mes fils ont grandi ici. Donner ça à mes enfants, cette nature, c'est une chance inouïe."
Faut-il croire que c'est ce bonheur tranquille que l'on sent dans ses vins?

1 commentaire:

Erix a dit…

Eric est un des tout meilleurs vignerons actuels. Tout ce qu'il fait est magnifique. Et en plus, c'est un grand bonhomme, généreux et authentique.
Respect !