lundi 15 décembre 2008

Emeline et les adeptes de la rue Bréa


C'est un drôle de rituel qui se répète tous les vendredis, rue Bréa. A l'heure des dîners en ville, alors que les parisiens fuient la froidure pour se réfugier chez eux ou dans les restaus surchauffés de Montparnasse, une bande de passionnés se pressent dans le froid autour du minuscule bar de la Quincave. La porte restera ouverte toute la soirée: ici le passant est bienvenu et la cigarette tolérée (dés 21h, heure "officielle" de fermeture). Deux bonnes raisons de jouer l'appel d'air.

Pourtant, si l'on a froid aux pieds, on a vite chaud au gosier: dans l'embarras de bouteilles de cette ancienne quincaillerie, tout commence généralement par un Tam Tam ou une Bubulle. La grenadine rouge de Laffite (une carbonique de Syrah et Carignan) contre le Chenin sec et frizzante des Jousset (Montlouis). Match serré, arbitré par un saucisson goûtu et un pain craquant. A la baguette, justement: Emeline. Ce soir, en l'absence de Fred, l'inénarrable tolier, c'est elle qui mène le bal. Elle sait y faire et pour cause: ancienne danseuse professionnelle reconvertiedans la sommellerie, elle a le tire-bouchon agile et les papilles affûtées. Elle parle du vin avec des mots simples. C'est rare.
"Le vin c'est comme la danse, dit-elle. C'est d'abord physique. Un ressenti. C'est au corps que ça doit parler. Après c'est une question d'équilibre. Il y a les flatteurs qui ne tiennent pas leurs promesses et les discrets qui se révèlent. Moi je n'aime pas forcément les bavards. Mais j'ai besoin d'émotions".
Elle vient de s'apercevoir que les verres sont à nouveau vides. Son regard balaie les étagères encombrées. Elle ouvre un carton. Hésite puis disparaît dans l'arrière-salle et revient une carafe à la main. D'un geste décidé, elle attrape alors un Saint Joseph de chez Delobre. Suivront un Chiroubles et un Morgon de son ami "Noune", alias Georges Descombes. L'assemblée apprécie et reprend le fil de ses discussions.

A cette heure, il arrive qu'un client de passage se mêle aux habitués et aux conversations, avant de filer, en retard soudain, sa bouteille à la main. Parfois c'est un vigneron qui pousse la porte. Ce soir, ce sont des amis de l'Allier qui débarquent avec un renfort de brioches aux grattons. Comme une madeleine de Proust.
"Ça c'est délicieux tiède, s'excuse Emeline. Ça se mange à peine chaud vers onze heures sur le marché couvert de Moulins. Avec un verre de blanc. Un régal!".
Qu'a cela ne tienne, elle ouvre un Jasnière de chez Chaussard. Malgré son étiquette improbable (à droite), Le Kharaktêr 2006 n'en manque pas. Une pure merveille de Chenin blanc.

Dans un coin, Nicolas D. refait le monde avec un militaire éclairé et un historique de Canal. La Quincave a aussi ses peoples. Mais chut, ici la star c'est le vin. Emeline, jamais à court d'idées, pose sur la table une ultime bouteille: un Singulier 2007 signé Jousset. Retour aux bords de Loire, donc, pour fermer le ban. Un (petit) billet sur le bar et tout le monde se quitte avec une invitation à y revenir. On n'y manquera pas.

6 commentaires:

Unknown a dit…

C'est vrai que le "tam tam", c'est quelque chose!
Merci à ces cavistes qui ont compris que comme dans une bonne librairie, nous avons besoin de conseils de passionnés pour mieux choisir...La "Quincave" fait désormais partie de mes meilleures adresses à Paris.
Signé: l'"Historique de Canal"

Anonyme a dit…

Magnifique récit d'un moment garni de plaisirs divers et variés: des hommes et des femmes, du vin, des victuailles....amen!
La taulière

Anonyme a dit…

Un bel endroit.

simplicité et bonne humeur sont les mamelles de cet établissement.

Emeline, radieuse au milieu de ce havre de paix, illumine nos dégustations.

Manu la rillete d'or

Anonyme a dit…

J'ai découvert l'endroit l'été dernier au détour d'une dégustation d'"Abracadabrantesque" offert par le vigneron. On se sent tout de suite accueilli à bras ouverts et on regrette de ne pas habiter à deux pas pour devenir l'habitué... J'y retournerai avec beaucoup de plaisir.

Calvaire a dit…

"Il y a dans toute cave des promesses de bonheurs enfouis", écrit Tournier. Eh bien, à la Quincave, ils ont tôt fait d'être déterrés !
Ici les vins, excellents, originaux, bon marché (et sans soufre !), sont servis aussi généreusement que la joie de vivre et l'humour bien senti. La taulière et le taulier, fort complémentaires et de très bon conseil, font sans conteste de cette chaleureuse gargotte la meilleure cave de Paris ! N'en jetez plus, allez déguster !

Anonyme a dit…

Nicolas D. engage une procédure pour se faire adopter par Fred et Emeline. Et une autre pour que "la Quincave" soit reconnue d'utilité publique et le Tamtam remboursé par la Sécu. Une dernière enfin pour que cet endroit de rêve soit admis au sein des états membres de l'ONU.