lundi 10 novembre 2008

Le temps des Alchimistes


La vendange rentrée, les cuves remplies, voici venu le temps des alchimistes. C'est le moment ou le vigneron s'enferme dans le silence de son chai. Joue du "drapeau" pour maîtriser les montées en température. Guette avec inquiétude ces fermentations qui, en bio, sont souvent lascives. On est très loin ici des "Formule 1" de la vinification industrielle.
"Les levures naturelles (on dit généralement "indigènes", ndla) ce ne sont pas des voitures de course, concède Jean-Michel Comme depuis son chai de Pontet Canet (à droite). Bien sûr, ce n'est pas aussi rapide que la dernière levure "Schwarzenegger" du commerce. Elles fermentent à leur rythme, calmement et c'est tant mieux. Elles réclament plus de vigilance. Ça oblige à être proche de chaque cuve et donc à mieux respecter chaque terroir".
Alors, inlassablement, il faut goûter, remonter, re-goûter, piger... Extraire, mais pas trop. Sans faire souffrir la matière, sans malmener les jus. Et au prix parfois d'exercices digne d'un funambule, les deux pieds en équilibre sur une planche, au dessus des cuves. Tout le monde n'a pas le robot-pigeur de l'ami Marcel Richaud...

Et puis l'automne, c'est aussi le temps des premières batteries d'analyses. Car on l'oublie trop vite, avant d'être bouteille un vin est d'abord éprouvettes et flacons troubles. Acidité volatile et sucres résiduels. De la chimie, finalement. C'est le moment des dégustations inquiètes parce qu'on a "encore trop de sucres dans les jus". Le temps des remises en cause. Et des états d'âme...
"Moi j'appelle ça le blues du vigneron, raconte Jean-Baptiste Senat. La dépression post-vendanges. Le moment ou on se met à douter de tout. Parce que ça ne se passe pas comme on voudrait. A cause de la tension de la fin d'un cycle. Dans ces moment-là, je suis très concentré (il sourit, ndla)... Et sans doute pas très facile à vivre!"
C'est le temps aussi des petits secrets de fabrication que chacun garde jalousement pour lui. Le moment où le vigneron, dans l'ombre de son chai, éprouvette en main et analyse en poche, mais
le plus souvent nez au vent et à l'instinct, prend tous les risques. Ou retient les chevaux.
"Je fais ma petite cuisine, témoigne Frédéric Palacios. Cette année, ça va être rock. Du coup, j'ai fait des sauces innovantes. Une cuve en grains entiers non foulés. Quelques expériences sur mes blancs. Je me suis éclaté! J'ai tenté des trucs que je n'avais pas le temps de faire avant".
En ce début novembre, on peut ainsi goûter à la cuve le pire et le meilleur. Des jus fermés, étriqués, parfois malodorants... Ou des nectars au nez déjà inoui. Au Mas de mon Père, les Sauvignons et les Chasans sentent la poire et les agrumes. A Font Juvenal, au fin fond du Cabardès, les Muscats exhalent des senteurs de pamplemousse. Chez les Mengus, la Syrah est délicieusement mentholée et chez Senat les jeunes vignes de Mourvèdre ont une fraîcheur saisissante.

Ce que cela donnera au bout du compte... Mystère et boule de gomme! Mais après tout, on n'a pas besoin d'être ingénieur nucléaire pour allumer la lumière... Alors fermons les yeux et laissons faire les Alchimistes. Le vin, c'est aussi une question de confiance.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Monsieur,

Sachez tout d'abord que j'ai pris connaissance de l'existence de votre blog lors de l'écoute d'une récente émission de France-Inter à laquelle vous étiez convié, et que - professionnel de la vigne et du vin depuis 30 ans - mon oreille se met très vite aux aguets dès qu'il est question du "jus de la treille"... Curieux, je suis venu, ai parcouru l'espace depuis son origine, et m'y suis si bien trouvé que je vous ai archivé (!) - vous prédisposant ainsi à d'autres visites... Cependant, si j'aime le ton de vos "carnets" ou de vos "humeurs" - et combien vos "amis" vignerons disent de leurs vins avant qu'on les aient goûtés, je n'ai pu me départir parfois d'une certaine gêne, où je sentais courir comme le filigrane d'une posture "nature contre technique" - posture que je considère comme un peu réductrice. Car, quoi de moins naturel que le vin (et donc quoi de plus culturel?) - et "chimie naturelle" frôlerait l'oxymore... Tant il est vrai, me semble-t-il, que comme toute création humaine - quelle que soit sa grandeur ou sa modestie - le vin est le fruit d'une technique (ensemble de procédés utilisés en vue de l'obtention d'un résultat concret - et Dieu sait si le vin n'est pas un ectoplasme): en bref, vos "amis" font quelque chose pour que leur vin soit, et ce quelque chose n'est pas que le fruit du hasard, il est pensé ("cosa mentale" comme disait Léonard de la peinture) et mis en oeuvre dans un but précis; dès lors, qu'est-ce là sinon de la technique?... Ajoutant que le hasard a sa place, dans ce que je ne connais pas mais que je me préparerai à accueillir si cela survient - avec la vigilance propre à ne pas le laisser passer...
Je m'en tiens là pour ce premier "commentaire" - vous priant de me pardonner un éventuel excès de "longueur". Mais, prenant aux mots votre exergue ("Un lieu de débat aussi, sans chapelle ni préjugé..."), peut-être irons-nous au-delà...

Bien à vous et, comme on dit dans ma Provence natale, "longo maï" pour votre blog

Bernard GRANDCHAMP
Ingénieur agronome-oenologue
Conseil

L'équipe d'Après l'Effort a dit…

Cher Bernard, voilà un point de vue qui a le mérite de la franchise. Merci aussi de prendre au mot l'exergue de ce blog.

En ce qui me concerne, la nature et la technique ne s'opposent en rien. "La nature du vin c'est de devenir vinaigre" dit souvent Marcel Richaud, qui comme vous le savez est de "mes amis", comme vous dites. Pas question encore de brûler les oenologues... Même si certains lecteurs y ont sans doute songé!

En revanche,il est vrai que la plupart des vignerons que j'aime travaillent sans aide de produits phyto-sanitaires ("sans chimie", disent-ils) et sont pour la plupart très opposés à leur usage. C'est un fait. Pour certain c'est aussi un combat. Il est évidemment autorisé d'en débattre...

Anonyme a dit…

Cher Laurent (?),

Oserais-je ouvrir une part du débat en posant que c'est la vigne qui nous commande ("on ne commande à la nature qu'en lui obéissant" n'est-ce pas!), et qu'en elle deux faisceaux de pratiques convergent - qui peuvent devenir contradictoires : la vigne doit être cultivée, "conduite" comme on le dit si bien d'un troupeau (et ces bons vignerons que sont vos amis ne sont-ils pas aussi un peu des bergers de leurs vignes?) - et même parfois conduite jusqu'à cette "part du feu" éventuelle d'accepter d'ôter du fruit pour que celui qui reste "exprime" mieux sa vigne et son année; mais la vigne doit aussi être protégée contre des parasites car, physiologiquement, c'est une liane et donc une plante aux tissus assez aisément riches en eau si l'on n'y prend garde (et les parasites sont physiologiquement friands de ce types d'hôtes!)... Le point de bascule? Ce constat de base (d'observation aisée à tout vigneron attentif), physiologique aussi, que toute vigne trop poussante, trop "vigoureuse" - c'est à dire à tissus trop riches en eau, est une proie plus facile pour les parasites (et qu'il faut alors beaucoup "traiter", faute de quoi le raisin peut en être gravement affecté, et qu'alors il devient quasiment impossible de faire du bon vin). Dès lors, comme la conduite de la vigne nous incombe, il nous appartient déjà de la conduire "en douceur". Et la nature (du moins celle de la vigne) est si bien faite qu'en étant conduite ainsi, elle murit mieux ses raisins... Ce pour quoi, comme nous le répétait à l'envi le Pr Jean BRANAS, mon Maître en viticulture à l'Agro de Montpellier "Méfiez-vous des belles vignes!"...
N'empêche, si l'année est favorable aux parasites, c'est à dire pluvieuse - et pluvieuse aux stades sensibles de la vigne (voir 2008), que faire? Prendre ce risque de voir, début juillet, parfois 80 % des grappes détruites par le mildiou en une seule contamination?... En pharmacie humaine, l'épidémie grave se contente-t-elle de l'homéopathie?... Au nom de quoi - et jusqu'où, la phytopharmacie (pharmacie des plantes) devrait-elle s'en contenter?...

Transmettez mes sentiments confraternels à vos amis, et bien à vous

Bernard GRANDCHAMP

Anonyme a dit…

D'un simple mot je crois qu'il est avant tout question de défendre une viticulture saine, c'est à dire exempte de produit chimique de syntése et une philosophie de travail à la cave "non interventioniste" ( ce qui demande une rigueur et une précision exemplaire),c'est à dire de limiter voir de bannir les intrants qui visent à déformer et remodeler l'expression du cépage, du millésime ou du terroir.
Face à la nouvelle forme de la terreur qu'est l'uniformisation du gout, faire passer le message que le vin est bien le produit de la nature et non de la technique.
Bien cordialement.
Jean-Baptiste Senat

Anonyme a dit…

Cher Monsieur SENAT,

Sans vouloir déjà ouvrir la question de la "chimie de synthèse" (après tout, où est le "naturel" de la "bouillie bordelaise", neutralisation d'une solution de sulfate de cuivre par un lait de chaux?), le souci d'une viticulture saine se rapproche lui aussi d'une forme de moindre "interventionisme", avec entre autres moins d'"intrants" (ainsi, favoriser par les pratiques culturales la vie microbienne du sol - potentiellement spécifique et pouvant dès lors traduire l'"effet terroir", plutôt qu'y suppléer par des apports d'engrais dont le caractère "chimique" signifie surtout la neutralité de cet apport...). A quoi s'ajoute que - constat personnel récurrent sur 30 ans de carrière d'homme de terrain - plus la vigne est conduite "en douceur" (recherche d'un équilibre physiologique favorable à la maturation des fruits plutôt qu'à l'expansion végétative), plus l'expression du terroir (via justement l'alimentation de la plante) "marque" les raisins, au sens où la spécificité de leur composition impose alors au vigneron-vinificateur ses "voies" (ou ses "voix") à suivre: un mathématicien dirait là que plus le terroir marque le raisin (via ce truchement qu'est la plante), moins le vinificateur disposera de "degrés de liberté" techniques... Inversement, moins le terroir marque (et moins encore s'il y a peu ou pas de terroir!) - c'est à dire d'une façon ou d'une autre moins la "conduite" de la vigne aura suivi le sens de ce terroir, et plus le vinificateur sera libre de "conduire" le vin comme bon lui semble (!)... Ainsi, le meilleur moyen de lutter contre (la tentation de) l'uniformisation du goût revient - via la conduite de la vigne - à "charger" le raisin de (avec du) terroir; je dirais alors - vous paraphrasant - que le vin est une interprétation de la nature par de la technique (en cela aussi, d'ailleurs, le vin est "art")...

Bien à vous
Bernard GRANDCHAMP

PS: ce que des mots ici m'ont dit de vos vins m'inciterait volontiers à les écouter de vive voix...