lundi 2 juin 2008

Le cinsault superstar


C'est l'histoire d'un cépage décrié. Trop prolifique, pas assez finaud. Un brin "cul-terreux" au goût des esthètes du genre. Le Cinsault, il est vrai, n'a pas volé sa réputation de "pisse-dru": 200 hecto à l'hectare pour peu qu'on lui donne du sable et de l'eau. Et pourtant... Des Côtes du Rhône au Languedoc, quelques vignerons avisés se sont mis en tête de redorer le blason de ce mal-aimé.
"Ce n'est pas parce qu'on n'a pas su le prendre, qu'il faut le jeter, plaide Jean-Baptiste Senat, qui s'attache depuis trois ans à faire renaître une petite parcelle condamnée à l'arrachage. D'abord, chez nous, le Cinsault ("cinq saou" en occitan, ndla) devrait être classé monument historique: c'est le seul cépage authentiquement languedocien. Les autres viendraient d'Espagne, de Savoie ou d'Asie mineure, comme la Syrah. Et puis surtout, c'est un vrai pur sang! On le prend pour un animal un peu rustique, une bête de somme, alors que bien mené, taillé en gobelet, dans une zone de garrigues, il amène aux vins une fluidité et une fraîcheur formidables".
Et Sénat n'est pas le seul à retrouver le chemin de ces parcelles méprisées. En Malepère, j'ai ainsi vu Frédéric Palacios lorgner avec envie sur les quelques arpents délaissés par un voisin et en Chateauneuf-du-Pape, Jean-Paul Daumen (Domaine Vieille Julienne), ne jure que par ce cépage catalogué "rosé". Tous sont unanimes: si un mauvais cinsault donne le pire des vins, un bon cinsault, lui, serait capable de renvoyer dans ses foyers la plus tendre des syrahs:
"Le cinsault c'est de la détente, une acidité tout à fait étonnante et une très belle rondeur, témoigne le vigneron des Côtes-du-Rhône. On a tort de le cantonner aux rosés de saignées. Désormais c'est un cépage que je recherche activement. C'est même le cépage avec lequel il faudra compter."
De la parole aux actes, chez les Senat, on s'est donc lancé à la reconquête des vignes perdues. 30 ares, par ci, 40 par là... Du coté de Peyrac, Jean-Baptiste ainsi redonne patiemment vie à une parcelle abandonnée depuis près de 15 ans. Il slalome ainsi entre des vignes cinquantenaires plantées à contre-pente, sur de petites terrasses successives, désherbées en totalité. Un casse-tête de laboureur...
"A l'Espine Longue, on a commencé par attendre les trois premières années que l'herbe repousse. Maintenant la vie revient, mais ce sont les "em..." qui commencent! Il est très difficile de travailler le sol sans abîmer les souches. Il faut aplanir, très doucement. Avec des mouvements hyper-lents. Se garder d'arracher trop de radicelles, faire attention au jeu de massacre... Pour ramener une vieille dame comme celle-là parmi nous, il nous faudra 5 ou 6 ans."
Déjà en 2007, la "vieille dame", quoique un peu stressée par ce charivari, a donné quelques uns de ses raisins à "Arbalète et Coquelicots", le dernier né du Domaine. Mais si elle fait merveille dans les chais, entre la tendresse un peu envahissante du Grenache et les tannins épicés du Mourvedre, elle fait aussi le bonheur des vendangeurs: c'est que le Cinsault donne également un très bon raisin de table, juteux et acidulé. Décidément, ce cépage là, il faudra se garder de l'arracher trop vite.

Aucun commentaire: