dimanche 4 mai 2008

La moue d'un ami...


C'est une longue bouteille alsacienne signée Frick, une référence du vin nature. C'est aussi une fillette bavarde, qui vous raconte sa vie avant même d'avoir atteint votre verre. Le bio, la bio-dynamie, l'éthique de l'authentique, le sens du terroir et deux logos pour le prix d'un : AB et Demeter. Tout est affiché. Sur l'étiquette de ce Pinot noir "sans souffre", on trouve même un petit laïus sur l'Art de la capsule:
"Parce d'un vin bouchonné de liège sur 10, trahit son terroir"
Religieusement, on dé-capsule donc (quoique le geste surprenne) pour libérer le nectar. On le carafe parce que mes amis m'ont toujours dit qu'un bon vin n'avait rien à y perdre. Et on sert, sous l'oeil connaisseur du vigneron qui a amené la bouteille. Et là, patatras! Voilà que ça grimace en bout de table. C'est Robert, le cuisinier, le maraîcher, l'amoureux des vergers et des jardins. Robert le généreux, qui s'étouffe. Et repousse son verre comme on renvoie un mauvais plaisant.
"Non, dit-il, ça c'est pas pour moi."
Le vigneron a beau lui expliquer la philosophie du domaine, le respect de l'environnement, rien ne passe. Jusqu'à cette phrase :
"En fait, Robert, Frick c'est un gars qui fait le vin comme on le faisait au début du siècle dernier. A la main. Sans chimie, sans levure artificielle, sans traitement."
Nicolas Joly n'écrit-il pas dans "la vin, la vigne et la biodynamie" que lorsqu'on boit un "vin vrai", lorsqu'on est "ému par ses goûts et ses arômes", "c'est un monde lointain que l'on admire"? Lointain comme les racines plantées par 12 générations de Frick au dessus de Rouffach... Nouvelle moue de Robert, définitive, celle-là :
"Ah, là c'est sûr. Là, je suis d'accord. Ça c'est des vins comme en buvait mon père lorsqu'il est arrivé en France (d'Italie, ndla). Mais, c'est plus pour moi... ".
Qu'en conclure ? 

Que le vin est une affaire d'éducation ? Que ce sont des vins qui ne se servent pas "comme ça", au "premier venu"? Que Robert ne sait pas goûter? Il se trouve que je considère justement mon ami cuistot comme assez bien "éduqué" en matière de goût et de saveurs. Il est de ceux qui savent apprécier la justesse d'un assemblage et l'équilibre d'une bouteille.

Faut-il alors plaider qu'il faut comprendre la démarche pour goûter ces vins? Qu'un Frick ne se boit qu'après avoir potassé Steiner et Nicolas Joly, digéré leurs enseignements et tiré la "substantifique moelle" de leur philosophie? Sans doute, cela aide-t-il. Mais je connais bien des vignerons bio (et plus...) dont les nectars n'ont besoin d'aucun sous-titre. Par ailleurs, est-il bien sage de demander aux consommateurs de connaître sur le bout des doigts une doctrine pour apprécier un verre de vin? Où sont le plaisir, la rencontre, l'émotion si tout est à ce point raisonné? 

Faut-il alors penser que cette bouteille était défectueuse? C'est possible. C'est indéniablement, capsule ou pas, l'un des grands obstacles sur le chemin du sans souffre. Ne pas sulfiter, c'est laisser le vin vivant certes, mais aussi un peu vagabond. C'est courir un risque.

Doit-on alors faire une croix sur Robert et se dire que s'il y a des bouteilles défectueuses, il y a aussi des consommateurs perdus pour la cause? 

Gardons-nous en... Prenons-le plutôt comme un signal d'alarme. Un rappel à l'ordre. Ne buvons pas nos "dives bouteilles" et nos "nectars de star" entre nous. Ne cédons pas à la tentation du microcosme dont politiques et media (dont je suis) apprécient tant le confort. En un mot, vignerons: aimez Frick, mais ne brûlez pas Robert! Faites du vin selon votre coeur, mais ne vous contentez jamais du jugement de vos seuls amis. 

7 commentaires:

Anonyme a dit…

L'honneur, c'est la ligne de conduite, c'est la part de risque assumée; nul besoin de se laisser enfermer dans une doctrine où dans un calendrier.

Anonyme a dit…

Poursuivre la discussion sur le forum degustateur.com à l'adresse suivante :

http://www.degustateurs.com/forum/forum_posts.asp?TID=11583

pinardier a dit…

j'ai publié une réponse à ton article sur mon blog:
http://lefruit.defendu.over-blog.com/article-19555441.html

bonne lecture et à bientot.

pinardier

Anonyme a dit…

Pour info, Pinardier, qui ne manque pas de style critique vertement sur son blog les "sociaux traitres" de la cause nature. Pire que les Robert, il y aurait donc les "balances", ceux qui "retournent leur veste, toujours du bon coté". La démonstration ne manque pas d'intêret. Quelques extraits :

"On connaît tous ce genre de situation. L’ami qui n’aime pas, qui n’accroche pas au nature, qui glisse sur la falaise du génial, qui ripe alors qu’il faut tenir (...) l’anti-clérical allergique aux vitraux et aux belles pierres, le terre à terre qui n’accepte pas la part de hasard et d’incertitude. On en a tous autour de nous. (...) Que faut il lui dire à cet ami ? Abruti ? Ignare ? incompétent ? Sale beauf ? Sale Betteane ? Non, nous n’irons pas jusque là, mais il y a un peu de cela quand même. (...)

Mais nous connaissons bien pire que ceux qui n’arrivent pas à entrer dans la spirale : ceux qui (...) usés, lassés, blasés, décident de couper court , de tout quitter. (...) Ceux qui n’acceptent plus les «déviances » du nature, qui y préfèreraient presque le costard cravate du conventionnel convenu, juste pour qu’on ne mette pas en doute (en société) leur capacité à choisir un bon vin au restaurant. (...) Ceux là, qui ont retourné leur veste, qui se sont repentis, les « presque-balances ». (...)

Alors, entre tout cela mon cœur reste figé, il accepte, il patiente ou il oublie mais en tous cas, il ne balance pas."

(le totalité du texte sur lefruit.defendu.over-blog.com/ dont les coordonnées sont indiquées si dessus)

pinardier a dit…

merci à "vindemesamis" pour le lien et pour son blog fort passionnant. J'ai lu les post sur dégustateurs.com, et je dois dire que c'est assez catastrophique. On croirait une dégustation du Savour club !!! Aucune émotion, aucune sensation sensuelle et tactile, aucun charme, aucun swing, bref, uniquement ce qui ce fait de pire dans l'approche du vin: le pragmatisme pur, l'analyse basique, l'absence totale de feeling.
Heureusement, le monde du vin nature se porte de mieux en mieux, au grand malheur de ces "dégustateurs".
Amicalement

Anonyme a dit…

est il obligatoire d'apprécier un vin car il est "nature". Nous ne voulons pas de que tous les vins se ressemble alors il faut accepter que l'on ne puisse pas aimer tel ou tel vin comme robert.

AntoinE. G a dit…

Cette question de l'education me parait essentiel. On ne se pose pas la question d'eduquer un enfant, pour l'ammener à découvrir, aller à la rencontre des autres en restant lui même, mais en respectant ses interlocuteur.

Bref, ne pas se renier, mais "aller vers...
Le vin et notre parcour à chaqun, c'est cela, on débute par ce que l'on aime, on fouille à fond les grands Bordeaux, on s'en gargarise, puis un gars passe par là qui nous fait gouter autre chose, et petit à petit, nos gouts changent, évoluent, s'EDUQUENT !

Je n'ai jamais bien "gouter" les vins de Jean Pierre, question de "trop de rigueur" peut-être dans ses arômes, ou bien je ne suis pas encore à cette étape de mon chemin personnel.

Cependant je reconnais le plaisir de boire ses vins pour leur franchise, et la droiture que l'on ressent du travail de l'homme qui les a accompagné.

C'est ainsi, le vin et ceux qui les boivent suivent un chemin personnel, grandissent, acceptent (parfois avec délice) de régresser, puis bifurquent, mais toujours l'apprentissage se fait
C'est pour cela, que peut-être, ROBERT, un jour aimera le PN sans soufre de JP... :)