vendredi 26 septembre 2008

Philippe et les "herbes folles".


Rien n'est plus impressionnant chez un homme que la force de ses convictions. Derrière son visage rond, Philippe est de cette race de vignerons qui ne transigent pas. Un homme qui affiche paisiblement des certitudes bien trempées. Et une solide détermination. Au village, ça ne rend pas toujours populaire. Mais les Valette ont l'habitude:
"Mon grand-père n'était pas du maconnais, raconte l'homme de Chaintré. Il est venu à pied de la Bresse voisine, sans un sou, vendre ses bras aux propriétaires du cru. Il a appris la vigne. Il est devenu métayer et n'est jamais reparti. C'était un rude... A la fin des années soixante-dix, son fils, mon père devenu viticulteur, a été un des premiers à claquer la porte de la coopérative. La caboche, c'est de famille."
Deux générations plus tard, Philippe et sa femme Cécile élèvent leurs enfants dans la vieille maison de pierres sèches où le grand-père avait posé son baluchon. Ils ont racheté la métairie et les hectares de vignes qui allaient avec. Joli symbole.

Des terres de son père aux siennes, cela fait quinze ans maintenant que "le petit-fils du métayer" trace son route hors des sentiers battus. Et tant pis si parfois la marche arrière s'est imposée, reconnaît Philippe. Le tout c'est d'aller au bout de ses idées:
"Si c'était à refaire, explique-t-il, j'aurais fait des études de biologie. Je crois que la viticulture moderne passe par là... Seulement voilà, j'ai fait viti-oeno, autant dire "petit chimiste". Alors forcément, quand j'ai quitté le chemin tout tracé pour faire du bio, des conneries j'en ai faites! Il a bien fallu se tromper pour avancer. Ça n'a pas toujours été facile, mais mon père m'a laissé faire...".
Le chemin, en effet était audacieux dans ce petit territoire, coincé entre la Bourgogne et le Beaujolais, où tirer son épingle du jeu relève déjà de l'exploit. Pas de pesticide. Pas d'engrais chimique. Pas de désherbant. Voilà pour le credo. Au premier coup d'oeil, c'est même devenu une marque de fabrique des Valette: dans ce pays tiré au cordeau, aux sols trop nets, leurs vignes jouent les rebelles. Ce sont les seules où les herbes folles ont le droit de tutoyer les Chardonnay.
"Au début c'était une expérience, dit-il. L'idée c'était d'arrêter le désherbage systématique et d'intervenir le moins possible. De laisser la nature se réguler elle-même... Réduire l'apport en eau, installer une concurrence entre l'herbe et les vignes, ça oblige les ceps à moins produire. Donc à produire mieux. Et puis on contraint les vignes à l'effort. Elles plongent leurs racines plus profond pour aller chercher l'eau, là où le terroir parle vraiment."
Et voilà comment une intuition est devenu une philosophie, presque un système: la vigne ne se contraint pas. Elle se guide patiemment. On peut l'influencer, pas la forcer. Bien menée, la Nature connaît son chemin. Ainsi, au mois d'août, à l'heure où d'autres scrutent leurs raisins avec inquiétude et multiplient les traitements de dernière minute, la famille quitte-t-elle invariablement Chaintré. Tranquille?
"Plus ou moins, reconnaît le vigneron. Mais de tout façon, à ce moment là, on n'y peut plus rien! Les jeux sont faits. Inutile de s'acharner. Ou de s'angoisser..."
Parfois, les étourneaux en profitent pour prendre leur part de raisin (ci-dessus). Cette année ils se sont carrément gobergés dans les Macon-Village. Au retour, fin août, Philippe a donc planté avec fatalisme quelques épouvantails en espérant qu'ils suffiraient à effrayer les oiseaux. Puis, il s'est remis à sillonner les vignes à bord de sa dernière acquisition: un petit kart capable de tondre les herbes hautes sans tasser les sols. Une exigence dont la petite dernière du clan Valette, juchée sur les genoux de son père, est déjà le témoin attentif.

La vigne, on vous l'a dit, c'est de famille.
"Malgré les étourneaux, le mildiou et des grêlons de la taille d'un oeuf de pigeon (le 7 août, ndla), on devrait faire une vendange très correcte, résume Cécile qui suit, elle aussi, l'affaire de près. Depuis dix jours, il fait beau sur Macon. Beau avec un vent venu du Nord qui a asséché les foyers de pourriture. Résultat: on a commencé à ramasser des raisins à parfaite maturité".
Un exploit pour une année comme celle qui vient de s'écouler... Mais dont Philippe, rassuré, feint de n'avoir jamais douté. Dans la cave qu'il partage avec son père et son frère, il avoue même une tendresse particulière pour ces millésimes difficiles qu'il vous ouvre avec gourmandise.

Chez lui comme en virée (ici aux Caves Augé, à Paris) lorsqu'on goûte du Valette c'est à l'horizontale, cols verts alignés sur le tonneau. Tout y passe: du Macon-Village au Pouilly-Fuissé en passant par les Chaintré, les Viré-Clessé... Et ce drôle de Beaujolais blanc issu d'une parcelle paternelle voisine, qui n'a jamais réussi à choisir son camp.

Ce jour-là, au milieu des barriques où toutes ses cuvées tâtent du bois, Philippe enfonce le clou.
"Tu vois, on peut avoir une petite idée à la vendange ou après la fermentation des jus, mais on ne peut vraiment juger d'une année qu'en bouteille, assure-t-il. Inutile de faire de grands discours avant... Ça n'a pas de sens".
C'est pourquoi les vins des Valette prennent le temps de "se faire". Selon les crus et les millésimes, ils passent 6, 9, 14, 18 mois en fût... Jusqu'à 5 ans pour Monsieur Noly, l'incomparable Pouilly-Fuissé, doré comme un Cognac. Le temps qu'il faut, en somme: car ici, comme à la vigne, c'est le vin qui décide de sa maturité. Pas le marché. Une hérésie commerciale, bien sûr. Un petit miracle dans un univers de plus en plus formaté. Du Valette tout craché.

Aucun commentaire: