jeudi 8 mai 2008

Arrachage et vieilles regaines


Il y a un peu de tristesse dans la voix de Jean-Baptiste Senat, ce soir. Il revient d'une dégustation à Carcassonne et a traversé pour cela une partie du Minervois. Sur la route, il a pris cette photo saisissante:

"Je suis sidéré, me dit-il, du nombre d'hectares arrachés. Mais encore plus du nombre des vignes en friche. Des hectares entiers que l'on n'a même pas pris la peine de tailler. Ça, c'est très nouveau."
Elle est spectaculaire, il faut en convenir, l'image de ces vieux ceps, racines au ciel, arrachés, noircis par la pluie. Comme le contre-pied, le négatif parfait, de la photo choisie comme entête pour le blog. Là haut des vignes dorées, sous un soleil d'hiver. La promesse d'une renaissance. Ici, le constat d'un échec. A la télé, on appelle ça "un paysage de désolation". Disons en tout cas un spectacle désolant.
"Il y a douze ans, lorsque nous avons débarqué avec Charlotte, le Languedoc était en plein expansion, raconte le vigneron de Trausse. Il y avait des terres à vendre, moins de domaines qu'aujourd'hui et une véritable attente. C'était une appellation montante, encore très bon marché. Entre 98 et 2000, le Languedoc est devenu à la mode. On a eu une grosse presse. Les prix ont explosé et nombreux sont ceux qui ont décidé de tenter l'aventure... Aujourd'hui, l'exercice est devenu plus exigeant, le marché plus étroit. Le retour sur terre est rude."
Moins frappante mais tout aussi significative, m'explique-t-il encore, la photo de ces Carignans de coteaux, verts mais visiblement laissés à l'abandon. Non taillés. 

Entre les anciens qui jettent l'éponge et les aventuriers de la "vigne facile", ces citadins venus la fleur au sécateur réaliser leurs rêves vignerons, on ne compte plus les rangées de ceps livrés à eux-mêmes... Ou aux tracteurs. 12.500 hectares ont été arrachés en Languedoc-Roussillon en 2006. 5000 hectares cette saison et 8000 prévus l'an prochain pour le seul département de l'Aude.
"La bulle a explosé, explique un expert viticole. Et la crise mondiale n'est pas un vain mot. C'est vrai que l'Europe pousse à l'arrachage, mais la prime est modeste: environ 5000 euros net par hectare, après déduction des frais. Pas de quoi faire fortune. A peine le prix de la terre, elle-même. La vérité c'est qu'aujourd'hui la plupart de ces propriétaires, devenus âgés, perdent de l'argent en cultivant."
Et pourtant entre ces ceps à l'abandon, et ces hectares voués au maïs ou à la friche (parfois au lotissement), des vignes repoussent encore de temps en temps. A coté des coquelicots qui bordent les vignes enherbées des Senat (à droite) émergent aussi de nouveaux vignerons. 

Cette année en Languedoc, quelques dizaines de néophytes tenteront malgré la "crise" l'aventure d'un premier millésime. Jean-Baptiste, bien sûr, a des noms. Et un oeil sur eux. 

Mais ceci est une autre histoire.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bien triste, en effet.
Je me souviens d'un article titré "les rmistes du vin" publié dans le Monde voici un peu plus d'un an. L'Eldorado du Languedoc recèle en effet de nombreux viticulteurs qui vivotent grâce aux aides sociales. Entre trimer dur et devoir demander le rmi pour subvenir aux besoins de sa famille une fois tous les frais payés, et toucher 5.000 euros net par ha, afin de rembourser ses dettes et envisager une reconversion ... On peut comprendre le choix de ceux qui arrachent.