lundi 3 mars 2008

Elle te plait pas mon AOC ?


Le salon de l'Agriculture ferme ses portes... Veaux, vaches, cochons, ont rejoint leurs camions et leurs campagnes respectives. On démonte, on plie. Et les citadins, apaisés par ces moments bucoliques quoique chahutés, oublient les campagnes... Jusqu'à l'an prochain. 

Dans le brouhaha des allées et le bruit des commentaires autour d'un échange fleuri entre le Président et un visiteur, nous avons failli, figurez-vous, passer à coté de l'essentiel: ce Salon sera le dernier avant la Révolution. Le dernier avant ce que Marcel Richaud appelle, du fond de son petit bureau de Cairanne: "la déferlante libérale"

Bigre! Rien que ça... 

Pour comprendre, il faut lire et relire les propos prêtés par le Journal du Dimanche au nouveau patron de l'INAO, l'organisme officiel qui règne sur les fameuses Appellations d'Origine Contrôlées. Yves Bénard (à droite) est champenois. Ancien directeur de Moët&Chandon, il ne cache pas qu'il a pour profession de"vendre le plus de vin possible et le plus cher possible"

Pour réaliser cette révolution, il veut tout simplement en finir avec le maquis des appellations et rêve d'instaurer une grille de tarif en fonction des nouvelles catégories qu'il aura instituées. Finies donc les AOC, les VDQS et autres vins de pays. Exit ces milliers de petites appellations qui depuis 1964 faisaient le charme du terroir français, mais aussi sa complexité voire son coté illisible: Adieu Côtes de Prouilles, Vallée de Paradis, Coteaux de l'Ardèche et Val de Loire... Vive les Chardonnay, les Merlot et les Carignans.

J'exagère... A peine. 

Voilà donc le projet tel qu'il est exposé avec franchise dans le JDD. 

D'abord l'entrée de gamme, les vins dits "de marque", vendus entre 1 et 5 euros. On parle là de vins français, produits par de grosses unités industrielles, formatés et donc peu chers. On pourrait ici imaginer un Merlot Auchan ou un Chardonnay Carrefour, totalement déconnectés de leur région d'origine. Aux Etats-Unis, des vins qui seraient baptisés "Béret" ou "Douce France". Les américains sont déjà adeptes de ces "fun wine". Et si l'on en juge au succés là-bas des vins de la firme Gallo comme la "Bicyclette Rouge" et l'"Arrogant Frog", sans modération... 

Echange de bons procédés : les Vins de Tables, ainsi chassés pourraient dés 2009 porter mention d'un cépage et d'un millésime. Il s'agirait de les rendre immédiatement compréhensibles par l'acheteur néo-zélandais ou chinois. Et hop... Les années de crise, plus question d'ouvrir les vannes dans les fossés. Les surplus trouveraient ainsi leur place dans une gamme standardisée, d'origine incontrôlée. Made in France, certes, mais à l'anonymat garanti.  

Deuxième catégorie : les vins intermédiaires, dits "régionaux", qui seraient aux nouvelles AOC ce que le Bordeaux "générique" est aux Saint Emilion et autres Medoc. Ceux-là seraient vendus entre 5 et 10 euros. On y retrouverait des Languedoc, des Loire, des Alsace, des Côtes-du-Rhone, bref des "vins de territoire", regroupant les anciens vins de pays par affinité régionale. Il y aurait bien quelques casse-têtes, mais passons... Et posons dessus le chapeau "I.G.P." (Indication Géographique Protégé).

Enfin, le haut du panier de la ménagère : l'AOC revue et visitée. Probablement rebaptisée "A.O.P" elle serait limitée à 200 terroirs à peine (contre 450 aujourd'hui) et vendue au dessus de 10 euros. Ce sont elles qui font l'objet des bagarres les plus âpres entre européens.
"l'AOP, l'Origine de Production, m'explique le vigneron Marcel Richaud. C'est la nouvelle norme européenne comme pour le Roquefort (46 fromages français en bénéficient, ndla) ou le jambon... En soi, si on parvient à faire triompher la notion de terroir, d'originalité, ça n'est pas mauvais. A Cairanne, on monte d'ailleurs le dossier pour tenter de se faire reconnaître. Mais c'est un virage à 180 degrés... Si l'on n'y prend garde, on a tout les risques de voir triompher les tentatives d'industrialisation, l'uniformisation et la banalité."
Sous les AOP, on retrouverait évidemment les prestigieuses appellations bordelaises et bourguignonnes. On pourrait également voir de nouveaux promus conquérir le Saint des Saints (on a compris que Marcel en rêve pour Cairanne). 

Yves Bénard y croit, lui, dur comme fer. Il compte sur une nouvelle définition tenant mieux compte "de l'esprit dans lequel le vigneron vinifie" et sur la création de "commissions d'agrément indépendantes" (jusqu'à aujourd'hui les vignerons se reconnaissaient entre eux, d'où quelques décisions surprenantes ici et). Mais la bagarre sera rude et le passage étroit...

A la lecture de cette grille implacable, je ne peux m'empêcher d'être un peu inquiet: qu'adviendra-t-il demain du merveilleux Bianco Gentile d'Antoine Arena (Vin de table de France), de la Bégou de l'ami Magnon (Vin de Pays de la vallée de Paradis), de la Grange des Pères (vins de pays de l'Hérault), des vins d'Eloi Durbac au Domaine de Trévalon (Vin de pays des Bouches du Rhone) ou encore de la cuvée Marcel Lapierre (Vin de table) ? 

Finies les routes communales, les départementales? On ne fréquenterait plus, demain, que des autoroutes sous prétexte de rendre le trafic fluide, de "vendre plus et plus cher"?

J'avoue pour ma part avoir un peu de mal à renoncer aux chemins de traverse. 






1 commentaire:

Anonyme a dit…

Moi itou! Parce que c'est bien là le charme de la spécificité française. Mais quel poids face aux arguments du Mondovino, mais aussi face aux plutôt faibles exigeances du consommateur lambda, pas cher et bon? Donc, malheureusement, économiquement justifiable.

Ceci dit, ceux qui sont déjà sortis du moule pour raisons personnelles (tous les atypiques du vin, ceux qui sont régulièrement refusés ou ne présentent plus leurs vins à l'agrément) ont déjà compris que l'on pouvait se passer de cette notion d'appellation pour sortir des quilles qui tiennent la route et que les amateurs s'arrachent.
Juste un pas à franchir, peut-être, mais la Syrah, en Bourgogne ou dans le Jura, j'espère qu'elle n'arrivera pas de si tôt! Espèrons seulement qu'il restera des irréductibles qui auront envie de défendre leur patrimoine!