vendredi 29 février 2008

"Douloureuse" et têtes de pioche


Ah... Que de commentaires depuis le précédent article ("Osons parler d'argent"...)! 

Que de mails, de coups de fils... Et d'assourdissants silences : c'est que cette question de la "douloureuse", dans un monde qui ne devrait être que plaisir, laisse forcément en bouche un petit goût amer.

Passons d'abord sur l'idée que ceux qui cherchent à toute force des vins à moins 3 euros seraient forcément des nuls qui "n'aiment pas ça". 

Je lisais l'autre jour sur le forum de la Passion du Vin le coup de gueule d'un certain "Eric d'Evreux". Étiquettes en main, l'homme renvoyait dos à dos trois bouteilles réputées pour dire tout le bien qu'il pense d'un très économique "Clos des Olivettes", un Saint Chinian (à droite) vinifié par la Cave de Roquebrun pour la modique somme de 2,80 euros. 

Pas de question d'argent ici : le même dégustateur avait eu les moyens la même semaine de se payer ou de partager l'achat d'un Maghani 2000, d'un Bébian 2001 et d'un Chabanon (le "Merle aux Alouettes"). Trois cuvées situés entre 20 et 35 euros. Il ne s'agissait donc que de goût. Il trouvait ainsi les uns:
"Engoncés, remplis de tant d'intentions qu'on en perdait le simple plaisir de les boire"
Et l'autre, le minot, tout simplement délicieux. 

Première conclusion et j'enfonce volontiers la porte, même si elle est ouverte: le tarif ne fait pas le bonheur. Il existe d'évidence des "pépites" à coté desquelles il serait juste ridicule de passer pour la simple raison qu'on ne les paierait pas "le prix - présumé - d'un bon vin" (voir sondage en colonne de gauche)...

Avis donc aux consommateurs qui veulent épater la galerie et aux scientifiques américains qui affirment doctement que notre cerveau apprécie d'autant mieux un vin qu'il a reçu l'information qu'on l'a payé cher (voir l'article) : personne ici ne viendra dire d'un vin qu'il est bon parce que son prix est élevé. Il est bon, répètent mes amis, parce que son vigneron l'a bien élevé. En revanche, le travail, insistent-ils, a bien un prix:
"C'est la main d'oeuvre qui coûte cher avant tout, explique Jean-Baptiste Senat. Par exemple, j'ai une jeune vigne de Mourvedre où je ne peux pas intervenir avec un outil inter cep traditionnel. Résultat : cela nous prend 30 heures à cinq bonshommes (soit 150 heures) pour piocher une vigne que l'on ne peut pas travailler autrement. Et il faudra le refaire au moins une fois ! Mon exigence bio fait que je ne le fais pas au désherbant chimique qui lui ne m'aurait coûté que 30 euros et pris 1 heure."
Tête de pioche contre produits chimiques, l'homme là où la machine ne sait pas (encore?) faire... Si l'on comprend bien, il ne s'agit donc pas d'un bête rapport qualité/prix mais d'un rapport exigence/pénibilité-et-donc-qualité/prix. 

CQFD, me dit-on. Mais voilà tout de même qui complique l'affaire.

Ce matin, cependant, le hasard fait bien les choses : je tombe sur le joli "Carnet de Vigne" de Sylvie Augereau (Editions de l'Epure - Omnivore). Page 122, le trophée du "meilleur grimpeur" est justement attribué à Cyril Fahl, un jeune vigneron des Pyrennées qui s'est fait une spécialité de cultiver sans filet des vignes exigeantes et escarpées. Culture "à la pioche", on y revient...
"Cyril Fahl, y écrit l'auteur avec fougue, fait subir à chacune de ses vignes du Roussillon le même traitement minutieux, implacable, acharné. Et pour un juste prix, précise-t-elle: 12 euros en moyenne (prix professionnel, 20 euros pour un particulier, ndla) pour 500 heures de travail à l'hectare en juillet, 15 hectolitres à l'hectare, un an et demi d'élevage en barrique et une production d'à peine 6000 bouteilles. Le premier qui dit que c'est cher, conclut-elle, on l'envoie travailler là-bas".
Les sites de dégustations en débattent déjà avec ferveur... 

Pour enfoncer le clou, je m'offre pour finir un voyage par procuration photographique dans ces Corbières où justement, la semaine dernière, Maxime Magnon a fait labourer des vignes particulièrement difficiles... par un cheval. 

Rangées trop étroites, pentes trop rudes en haut de coteau : même le chenillard bleu et jaune aurait eu du mal à passer, m'explique le vigneron. Il a essayé au treuil, mais c'était épuisant. Il a finalement décidé de faire venir l'un des rares laboureurs à cheval en activité dans la région (ci-dessous).
"C'était beau, superbe sous le soleil de montagne. Noble, même... Et puis bien sûr que ce cheval, là, faisait un peu revivre l'époque d'avant... Mais c'était pas par nostalgie, tranche-t-il : C'était ça ou la pioche."
L'affaire a couté à Maxime 750 euros pour 20 heures de travail et un peu plus d'un hectare impossible à labourer autrement. A moins... 

A moins de faire comme les voisins. 

Tout autour des vignes couvées par Maxime, les surdoués de la cave coopérative de Mont Tauch (l'une des plus grosse de France) ont, eux, trouvé une autre solution: ils arrachent, ils terrassent, replantent de jeunes vignes et mécanisent. Facile à traiter ("selon critères de l'Agriculture raisonnée", qui dit qu'on ne pulvérise pas par principe mais selon nécéssité, ndla), facile à vendanger. Les machines ont alors tout le loisir de manoeuvrer. "La qualité des terroirs à la pointe la technicité, dit le président de la coopérative"

Il faut venir voir au coeur des Corbières ces coulées de vignes, parfaitement alignées, nettoyées, bien sages... C'est moins cher, plus productif. En un mot : plus rentable. Et c'est un succès. La coopérative écoule désormais près de 10 millions de bouteilles par an. Corbières, Fitou et Vins de pays... A coté de ses têtes de cuvées, Mont Tauch propose ainsi un merlot et des grenaches de la Vallée de Paradis à moins de cinq euros (4,90 ttc), prix public. Là où la première cuvée Magnon commence sa vie commerciale à 9 euros. Le double...

Reprenons la calculette de l'artisan-vigneron : environ 1 euros de verre-étiquettes-bouchons-taxes (les "produits secs") + 2 à 3 euros de main d'oeuvre par bouteille en moyenne.
"Au prix de Mont Tauch, c'est tout simple, dit Maxime, je vendrais mes vins à perte. Ce que je ne peux pas me permettre..."
Autre esprit, autres méthodes... Les choix se respectent. Grâce à ce parti-pris, Mont Tauch fait vivre près de 300 vignerons et produit des vins qui n'ont rien de scandaleux (la photo de gauche est issue de leur site commercial). En revanche, si l'on se promène sur des chemins plus escarpés, plus solitaires, en clair du coté des auteurs de vins, des artisans, il faut sans doute accepter l'idée que le travail se paie. 

N'importe quel prix ? Ça, en revanche, ça se discute...  

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Olif m' a signalé que vous parliez de moi dans votre blog. Je persiste et signe dans mes propos, d'autant que j'ai eu depuis une foule d'exemple de vins très simples qui m'ont procuré beaucoup plus de plaisir que des vins qui seraient jugés inabordables par une grande partie de la population. C'est vrai que c'est intéressant à mettre ça en parallèle avec cette fameuse étude sur le prix de l'étiquette...

Ceci dit, j'aime beaucoup les vins de Barral, Sénat, Richaud ou Lédogar qui comptent parmi vos amis, heureux homme!

Vous pouvez retrouver mes dégustations et plein d'autres choses sur mon blog, A boire et à manger.

Salutations

Michel Smith a dit…

J'arrive très tard, mais je lis de temps en temps votre blog et c'est bien la première fois que je dis BRAVO pour cet excellent papier qui montre qu'être vigneron c'est pas de la tarte et que tout vin a le prix de ses efforts.