mardi 19 février 2008

Bertrand Gautherot, dans les bras de Sorbée...


Ce matin là, Bertrand Gautherot attend un client. Un japonais, me précise sa femme Hélène. Et pas n'importe qui : Hideaki Kito, un caviste, revenu de Nagoya pour goûter les "Vouette-et-Sorbée".

Ici, le japonais, il faut le dire, est en pays de connaissance. Il n'est pas de ces néophytes dont l'oreille, peu habituée, aurait été abusée par une sonorité proche : Moët, Vouette... L'homme fait parfaitement la différence. Monsieur Kito parle français avec application. Et s'il revient, c'est qu'il est l'un des premiers à être tombé amoureux de cet "extra-brut" qui n'a rien à envier aux grands de Champagne.

Et pourtant quel contre-pied...

Dans cette région qui veut sans cesse produire plus et rêve de s'agrandir, les Gautherot prônent pratiquement l'abstinence: ils cultivent 4 hectares à peine, produisent 10.000 bouteilles les bonnes années. Mieux : dans cette Champagne qui traite massivement ses vignes (rudesse du climat oblige, dit-on souvent...), Bertrand a décidé de la jouer bio.
"J'ai toujours voulu faire du raisin, explique-t-il. J'attendais seulement que mon père me passe la main. En attendant, je travaillais comme concepteur produit dans l'industrie du luxe : je concevais des étuis de rouge à lèvres en élastomère... Donc, en 93, je reviens ici, dans une région qui est sans doute la plus traitée au monde : engrais pesticides... La Champagne dépense en moyenne 2200 euros/hectares en produits. Venant de cet univers de luxe, je me suis dis : "attends... Entre l'image et le produit, il y a quelque chose de malhonnête. Ca déconne...". C'est comme ça que j'ai basculé. J'ai arrêté tous les traitements. J'ai eu envie de rendre la vigne à sa nature et d'accepter ce qu'elle me donnerait"
Au début donc, logiquement, les Gautherot font du raisin. Du raisin bio, qu'ils livrent à la coopérative. Très vite, les vaches produisent du compost, on se met à la "tisane d'ortie" pour stimuler les vignes et des brumisations ponctuelles de silice ou de cuivre pour les traiter. Les voisins sourient... Grand bien leur fasse! Pas sorcier pour deux sous, Bertrand croit dur comme fer à ses méthodes. Il ne dépense plus que 160 euros à l'hectare... Et puis dans cette région exigeante, pluvieuse et rude, il est persuadé que ses vignes - et sa famille - vivent mieux au naturel :
"On est sur des micro-doses, c'est de l'homéopathie appliquée aux plantes, plaide le vigneron. Là où la chimie prescrit huit jours d'antibiotiques par les engrais et les pesticides, la bio-dynamie traite en deux heures de manière naturelle. Mais tout ça, la bio, la bio-dynamie, les certifications AB ou Demeter, ce n'est pas le but en soi. C'est un outil, comme internet ou un sécateur... C'est tout de même une forme de cohérence : être vrai, en plus d'être bon."
Et puis un beau jour passe un certain Anselme Selosse (photo à droite). En voisin, mais aussi en mentor, ce vigneron atypique, pousse les Gautherot a faire eux-même leur vin. En 99, Bertrand plante donc des Chardonnay à coté de ses pinots et en 2001 il sort ses premières bouteilles.

C'est ainsi que vont naître les cuvées "Blanc d'Argile" (Chardonnay) et "Saignée de Sorbée", une "longue infusion de pinot noir, presque une tisane", dit Bertrand. Et bien sûr la "Fidèle" (Pinot noir), la toute première:
"Fidèle parce que l'on veut être honnête avec notre terroir. Je veux que le raisin puisse s'exprimer comme il est... Comme le climat et la terre nous permet de le faire, ici. Loin des modes. C'est aussi pour çà qu'au lieu de donner à la Maison un nom Tartanpion ou Durand, on l'a nommée du nom des deux lieu-dits où poussent les vignes : Vouette et Sorbée. C'est une façon de rendre leur vérité aux cépages et aux sols dont j'ai hérité".
Fidèle à ses idées, justement, le vigneron étend ses principes de la vigne au chai. A contre-courant toujours, il décide de très peu sucrer ses vins, dans une région qui a pris l'habitude de récolter tôt (pour éviter les maladies) et pratique largement la chaptalisation. Les bonnes années, il glisse à peine 20 grammes de sucre à la mise en bouteille pour créer le gaz et les fameuses bulles. En revanche, il se refuse, quoiqu'il arrive, à ajouter la fameuse liqueur qui en Champagne ferme souvent le bal:
"Après 15 à 18 mois de bouteille, m'explique patiemment le vigneron de l'Aube, la prise de mousse a créé un dépot. On s'en débarrasse en décapsulant, avant de fermer avec le bouchon de liège. C'est là que la plupart des producteurs "rectifient" leurs Champagnes : ils ajoutent du vin de réserve et "dosent" leur produit avec une "liqueur d'expédition", qui va donner du sucre et un goût "maison". Moi, au contraire, je fais des vins crus, fidèle à la vigne, pratiquement des produits frais. Quand vous ouvrez une bouteille, elle vous offre un premier abord, puis un autre. Posez là sur la table dix minutes, le goût aura encore changé. C'est vachement généreux un vin. Formidablement généreux."
Et voilà comment, en quelques années à peine, Bertrand et Hélène, du haut de leurs 4 hectares ont réussi à conquérir leur monde. De grande tables... Et monsieur Kito, qui, bien sûr, ce matin là, a fini par arriver.

Cette année encore, malgré la décision de geler le nombre des clients, Hideaki Kito aura son quota bouteilles. Quitte "à faire râler l'importateur officiel au Japon", plaisante Hélène qui sait bien que l'autre japonais apprécie peu d'avoir un concurrent au Pays du Soleil Levant.

Mais c'est une question de Fidélité. Et là-dessus la Maison ne plaisante pas.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ah le Japon !
Je me souviens d'un millionnaire japonais qui vivait à Sendaï et qui avait une cave avec des vins remontant à Napoléon Ier.

ce jour-là, je bus du St Emilion 1970...