lundi 6 octobre 2008

Le premier jus


Une virée aux Ebrescades, dans les dernières encablures des vendanges. C'était samedi sur les hauteurs de Cairanne, sous le froid soleil d'octobre. Sur ces coteaux balayés par le mistral, il fait bon s'activer. Les doigts sont gourds mais toujours virevoltant. Les grappes tombent une à une: la moitié au sol, perdue, l'autre dans le seau.
"Ça se termine mieux que ça n'a commencé, raconte Marcel Richaud. Le vent nous a sauvé la mise. Mais on sera tout de même sur de très petits rendements. Pas plus de 20 à 25 hecto/hectares. Je ne ferai pas la moitié d'une année normale. Mais nous avons tout de même de beaux raisins".
Changement d'ambiance à la cave. En cette fin de vendanges, c'est comme une ruche. Un petit monde en mouvement perpétuel. Ici arrivent les dernières cargaisons de raisins noirs et mûrs. Doucement, les grappes viennent rouler sur le tapis de tri. Des mains expertes, encore, tranchent dans le vif de la rafle, chassent le grain abîmé. Il faut voir le raisin rouler vers le pressoir et le jus vers les cuves. Et plus que tout: il faut sentir... 

Et dans cette explosion d'odeurs et d'arômes, prendre le marc à pleine main et le porter au nez.
"Sens-moi ça, sourit le vigneron de Cairanne, avec un faux air de vendeur de café. Tu sens ces odeurs de fruits mûrs. Ce coté épais, concentré? C'est bon non? C'est formidable ce moment. Ces odeurs de fin de vendanges, au début de la fermentation. Ce fruit mûr, cette violette, ces épices, qui échappent des cuves, selon les cépages. Ça ne sent jamais aussi bon que maintenant."
Marcel, comme un enfant, 35 ans après ses premiers jus. Heureux de faire partager son bonheur. De parler de son métier. Gourmand.
"Venez! Je vais vous montrer...", dit-il en disparaissant dans l'escalier qui mène au premier étage.
Devant nous, un à un il fait basculer les couvercles bombés de cuves béton et nous invite à plonger le nez.
"Ça renarde un peu, là, lâche-t-il. Tu vois comme ça bouillonne? C'est la fermentation... Et là tu sens? On dirait des raisins au sirop."
On opine du bonnet, heureux de sentir l'alcool et le fruit chatouiller les narines. Sautant d'une odeur à l'autre. D'un cépage, d'un terroir, à l'autre. Marcel, lui est déjà reparti. Il nous entraîne vers les larges plaques d'aluminium qui recouvrent les cuves les plus prestigieuses. C'est là que sont versées, entières, les grappes d'Ebrescades. Juste couvertes de gaz carbonique (d'où la macération du même nom...) pour éviter les attaques bactériennes. Ici pas question d'érafler ou de presser. Le jus macère à l'intérieur de chaque grain. Chaque raisin devient sa propre petite cuve, son usine à tannins et à arômes.
"A gauche, les syrahs. Et là les grenaches qui viennent de rentrer, commente l'ami Marcel. Notre seule intervention consiste en fait à venir "piger" la cuve lorsqu'on en ressent le besoin. On vient mélanger doucement les raisins, pour faire remonter le moût. Ça doit se faire sans excès, parce que le pigeage a aussi pour effet de forcer sur l'extraction au détriment de la finesse. Et on risquerait de se retrouver avec des vins âpres, secs, désagréables."
Le large cône en aluminium se met en route presque sans bruit au dessus des Syrahs. Très lentement, pour ne pas abîmer les raisins, Marcel va le plonger dans la cuve. La masse noire des raisins se tâche de rose. C'est saisissant. Le moût qui se fraie un chemin vers la surface prend des couleurs fluos.
"Tu vois cette couleur? Exulte-t-il. Inouïe, non? Et rien que du naturel..."   
La visite se termine. Dehors les "gars" chargent un nouveau tracteur de marc destiné à la distillerie. Un "impôt vinique", précise Marcel. Une façon de s'assurer que les vignerons ne distillent pas, en douce, leur propre alcool. 

Sur le chemin de la cave, un nouveau tracteur pointe le bout du capot. C'est le dernier du jour. Là-haut, aux Ebrescades, les vendangeurs ont fini de ramasser les Grenaches. Lundi, ils attaqueront les Mourvèdres. Un peu tôt sans doute. Mais c'est le Millésime qui commande.

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